Analyse Clinique de la Maladie de Behçet et Critères Diagnostiques

Analyse Clinique de la Maladie de Behçet et Critères Diagnostiques

Informations sur le document

Langue French
Format | PDF
Taille 1.01 MB
Spécialité Médecine
Type de document Mémoire/Thèse/Article
  • Maladie de Behçet
  • critères diagnostiques
  • manifestations cliniques

Résumé

I.Manifestations Cliniques de la Maladie de Behçet

La Maladie de Behçet se caractérise par une variété de symptômes. Les manifestations cutanéo-muqueuses, incluant l'aphtose buccale et génitale, sont les plus fréquentes et souvent les premiers signes. L'atteinte oculaire, pouvant mener à la cécité, est une complication grave, de même que les problèmes vasculaires (thromboses, anévrysmes) et neurologiques (céphalées, syndrome pyramidal). L'atteinte articulaire est également courante. La présence du phénomène pathergique (hypersensibilité aux piqûres) est un indice diagnostique important, bien que sa sensibilité varie selon la région géographique. Des manifestations intestinales peuvent survenir, nécessitant un diagnostic différentiel avec d’autres affections comme la maladie de Crohn. Des formes juvéniles et néonatales existent. Le sexe masculin est associé à un pronostic plus sévère.

1. Manifestations Cutanéo muqueuses

Les manifestations cutanéo-muqueuses dominent le tableau clinique de la maladie de Behçet. L'aphtose buccale et génitale est la caractéristique la plus constante, décrite dès 1937 par Hulusi Behçet. Ces aphtes, souvent récidivants, peuvent être herpétiformes (nombreuses ulcérations de 1 à 2 mm, jaunâtres) ou plus importants. Leur localisation préferentielle est à l'intérieur des joues, sur les gencives, les bords de la langue, le plancher buccal, voire la voûte palatine, les amygdales et le pharynx. Ils provoquent une gêne fonctionnelle mineure, une sensation de brûlure ou de picotement au contact d'aliments chauds ou épicés. La guérison survient spontanément en 2 à 3 semaines, sans cicatrice, mais les récidives sont fréquentes (au minimum 3 par an selon les critères internationaux). D'autres lésions cutanées sont présentes : la pseudofolliculite (PSF), la plus fréquente, se manifestant par des papules pustuleuses sur le tronc, les membres inférieurs et le visage ; l'érythème noueux (EN), des nodules érythémateux sensibles sur les membres ; et le phénomène pathergique, une hypersensibilité cutanée aux piqûres, caractéristique mais dont la sensibilité varie selon l'origine géographique du patient. Enfin, d'autres lésions cutanées, comme des aspects proches du syndrome de Sweet, peuvent être observées. L'absence de ces manifestations rend un diagnostic certain impossible. Dans la série étudiée, elles étaient présentes chez tous les patients.

2. Atteinte Oculaire

L'atteinte oculaire est une complication grave et fréquente de la maladie de Behçet, pouvant conduire à la cécité. Elle est souvent sévère, caractérisée par une uvéopapillite avec périphlébite rétinienne occlusive. Cliniquement, on observe une inflammation vitréenne, des vascularites, des occlusions vasculaires, un œdème maculaire et des nécroses rétiniennes hémorragiques. L'atteinte peut débuter au niveau du segment postérieur (hyalite étant le signe le plus constant, avec une fréquence de 37% dans la série étudiée, 61.1% dans la série de Lakhdar et 22% dans celle de Janati) puis s'étendre au segment antérieur. Les thromboses veineuses rétiniennes, bien que relativement rares (2% dans une série, 9.3% dans une autre, et 2.5% dans celle de l'étude), constituent un accident vasculaire grave à haut risque de néovascularisation, de récidives et de bilatéralisation, nécessitant une prise en charge précoce. Les altérations maculaires, fréquentes (24 à 41% selon les séries, 37% dans la série étudiée), sont importantes pour le pronostic visuel, mais leur évaluation est difficile pendant les poussées inflammatoires. Deux patients de l’étude étaient aveugles au moment du diagnostic et deux autres avaient développé une cécité monoculaire.

3. Atteinte Articulaire

L’atteinte articulaire est fréquente dans la maladie de Behçet. Elle peut survenir à différents moments de l’évolution de la maladie : comme symptôme inaugural (16.5 à 19% des cas dans différentes séries, 7% dans la série étudiée), simultanément à l’aphtose ou après un délai de 2 à 4 ans (64% des cas dans la série étudiée). Les manifestations articulaires périphériques (grosses articulations des membres inférieurs: genoux et chevilles) sont les plus courantes. L'atteinte des petites articulations des mains et des pieds est moins fréquente. Une étude turque montre une haute prévalence de l'atteinte de la main (56.1% des cas). L'évolution est généralement aiguë ou subaiguë, récidivante, rarement chronique. Les épisodes inflammatoires sont souvent associés aux poussées d’aphtes. La guérison se fait sans séquelles, les arthrites non destructrices ni déformantes. L'association avec une spondylarthrite ankylosante (SPA) est rare, mais rapportée dans la littérature. Une patiente de la série étudiée a présenté une atteinte articulaire inaugurale 17 ans avant les autres symptômes.

4. Atteinte Vasculaire et Neurologique

L’atteinte vasculaire est une complication majeure et grave de la maladie de Behçet, responsable d’une importante mortalité. Les anévrysmes artériels, les plus fréquents (2/3 des cas), présentent un risque élevé de rupture spontanée (60% de mortalité). L’aorte abdominale et les artères pulmonaires sont les sites les plus touchés. Les thromboses veineuses peuvent concerner différents territoires, notamment les veines cérébrales et les sinus duraux (sous-diagnostiquées du fait de symptômes d’HTIC spontanément résolutifs). Les thromboses intracardiaques sont très rares. L’atteinte neurologique est fréquente, souvent marquée par des céphalées (100% des patients dans une série, entre 40 et 63% dans d’autres), un syndrome pyramidal, une atteinte des paires crâniennes, un déficit moteur et des troubles mentaux. L’angio-Behçet cérébral, avec thromboses veineuses cérébrales et atteintes parenchymateuses, peut menacer le pronostic vital, particulièrement dans les formes juvéniles. Dans notre série, deux patients présentaient des céphalées associées à des signes d'HTIC, et un patient a présenté des troubles psychiatriques isolés (syndrome dépressif avec psychose hallucinatoire). Un fils d'une patiente est décédé à 23 ans des suites d'un coma sur TVC.

II.Diagnostic de la Maladie de Behçet

Le diagnostic de la Maladie de Behçet repose sur des critères cliniques, constamment réévalués par différents groupes d’experts (Mason et Barnes, comité japonais, O’Duffy, Hamza, ISG, Davachi). L'absence de marqueur biologique spécifique rend le diagnostic clinique essentiel. On distingue des formes complètes et incomplètes de la maladie en fonction du nombre de critères remplis. La sensibilité et la spécificité des critères diagnostiques varient selon les études et les populations étudiées. L'aphtose bipolaire est un critère majeur souvent négligé. Des études coréennes (sensibilité 85,7%, spécificité 95,7%) et d'autres grandes séries confirment la validité des critères diagnostiques, même pour les formes incomplètes.

1. Critères Diagnostiques et Approches

Le diagnostic de la maladie de Behçet repose sur une évaluation clinique, car il n'existe pas de marqueur biologique spécifique. Divers ensembles de critères diagnostiques ont été proposés, notamment par Mason et Barnes, le comité japonais, O'Duffy, Hamza, et le groupe international d'étude sur la MB (ISG), ainsi que plus récemment par Davachi. Ces critères, constamment réévalués, ne sont pas toujours exhaustifs et varient dans leur pondération des symptômes. Certains accordent une importance majeure aux manifestations cutanéo-muqueuses, tandis que d'autres privilégient les atteintes oculaires ou articulaires. Cette variabilité rend le diagnostic parfois difficile, particulièrement lorsqu’il s’agit de différencier la maladie de Behçet d’autres pathologies présentant des symptômes similaires. L’aphtose buccale ou bipolaire, pourtant la manifestation la plus constante, n’est pas toujours suffisamment prise en compte. La présence de manifestations intestinales peut induire une confusion avec l’entéro-Behçet ou une entérocolite avec manifestations extra-intestinales. L'étude de critères japonais sur une population coréenne montre une sensibilité de 85,7% et une spécificité de 95,7%.

2. Formes Complètes et Incomplètes

Le diagnostic distingue les formes complètes et incomplètes de la maladie de Behçet. Une forme complète est définie par la réunion des quatre critères majeurs, une forme diagnostiquée dans 39% des cas d'une série, contre moins de 20% dans les séries de Lakhdar et Mangelsdorf, recrutées purement en dermatologie. Ceci est dû au fait que 75% des critères majeurs du groupe japonais sont cutanéo-muqueux. Une forme incomplète correspond à la présence de 3 critères majeurs, ou 2 critères majeurs et 2 mineurs, ou encore une uvéite associée à un critère majeur (ou 2 mineurs). Dans la série étudiée, la prise en compte des formes incomplètes augmente la sensibilité des critères diagnostiques à 92%, un chiffre qui correspond à la majorité des grandes séries. La différence de fréquence de formes complètes entre les séries est attribuée à des biais de recrutement, notamment le recrutement purement dermatologique dans les séries de Lakhdar et Mangelsdorf.

III.Épidémiologie et Prévalence de la Maladie de Behçet

La Maladie de Behçet est une affection ubiquitaire, plus fréquente dans les pays du bassin méditerranéen, en Turquie, au Moyen et Extrême-Orient et au Japon. Sa répartition géographique suit approximativement la «route de la soie». Au Japon, on observe une prévalence élevée (30,5/100 000), faisant de la cécité un problème de santé publique. La prévalence est moindre en Europe du Nord et aux États-Unis. En Tunisie, la prévalence est de 10/100 000 habitants. Des différences de prévalence et de sévérité existent selon l’origine ethnique (ex: retard diagnostique plus important chez les Allemands autochtones par rapport aux immigrants turcs en Allemagne). L'antigène HLA-B51 est associé à un risque accru. L'influence génétique est confirmée par l’existence de formes familiales, plus fréquentes chez les enfants et souvent plus graves.

1. Distribution Géographique et Prévalence

La maladie de Behçet est une affection ubiquitaire, mais sa prévalence varie considérablement selon les régions du globe. Elle présente une forte prédominance dans les pays bordant la Méditerranée, en Turquie, au Moyen-Orient, en Extrême-Orient et au Japon, suivant un schéma géographique rappelant la Route de la Soie. Au Japon, la prévalence est significativement élevée, atteignant 30,5 cas pour 100 000 habitants, ce qui en fait un problème de santé publique majeur en raison du risque de cécité. En Chine, la prévalence est de 14 cas pour 100 000 habitants. En Tunisie, elle est estimée à 10 cas pour 100 000 habitants, représentant la vascularite la plus fréquente dans ce pays. En Europe du Nord, la prévalence est beaucoup plus faible, avec 2 cas pour 100 000 habitants en Allemagne et 0,6 cas pour 100 000 habitants en Grande-Bretagne. En Italie (région Nord), l'incidence était de 0,24 cas pour 100 000 habitants sur 17 ans, et la prévalence de 3,8 cas pour 100 000 en 2005. Aux États-Unis, la prévalence se situe entre 0,12 et 0,33 cas pour 100 000 habitants. Au Japon, malgré une prévalence élevée, l'incidence semble diminuer (0,89 nouveaux cas pour 100 000 en 1984, contre 0,75 en 1992), avec une fréquence maximale dans le nord du pays. L'étude note que les Hawaïens et les Brésiliens d'origine japonaise sont épargnés, suggérant une importance du facteur environnemental.

2. Facteurs de Risque Sexe Génétique et Origine Ethnique

Le sexe semble influencer l'expression et la sévérité de la maladie de Behçet. Le sexe masculin est largement considéré comme un facteur de mauvais pronostic, associé à une atteinte oculaire plus grave, une incidence plus élevée de thrombose veineuse et une mortalité significativement plus importante. Plusieurs études confirment cette association. En Corée et en Turquie, la mortalité est multipliée par dix chez les hommes jeunes. L'influence génétique est soulignée par la présence de formes familiales, souvent plus sévères que les formes sporadiques et fortement associées à l'antigène HLA-B51. Une étude de cohorte de 203 patients algériens confirme cette association, avec 7% de cas familiaux caractérisés par des formes vasculaires graves et 3 décès. Au Maroc, la fréquence des formes familiales est plus faible (5,6% et 3,7% dans deux séries), tandis que la série étudiée présente une fréquence plus élevée (20,5%), possiblement due à la petite taille de l'échantillon ou au recrutement de plusieurs membres de la même famille. Des cas familiaux sur plusieurs générations ont été rapportés, avec anticipation génétique (début plus précoce dans l'enfance) dans 84% des cas, mais une sévérité variable au sein de la fratrie. La prépondérance des facteurs génétiques dans la pathogénie de la maladie de Behçet chez l'enfant est évidente, les cas familiaux étant dix fois plus fréquents chez l'enfant que chez l'adulte.

IV.Traitement de la Maladie de Behçet

Le traitement de la Maladie de Behçet vise à contrôler les symptômes et à prévenir les complications. La colchicine est souvent utilisée pour les manifestations cutanéo-muqueuses. Les corticoïdes, seuls ou en association avec des immunosuppresseurs (cyclophosphamide, azathioprine), sont employés pour les poussées aiguës ou les formes sévères. L'interféron alpha est une option pour les formes résistantes, notamment oculaires et articulaires, bien qu'il manque d'études contrôlées randomisées. Dans les cas les plus sévères, l’autogreffe de cellules souches hématopoïétiques peut être envisagée.

1. Traitement des Manifestations Cutanéo muqueuses

Le traitement des manifestations cutanéo-muqueuses de la maladie de Behçet, dominées par l’aphtose, repose principalement sur la colchicine. Un essai randomisé en double aveugle sur deux ans a démontré son inefficacité sur les aphtes buccaux, mais une réduction significative de la fréquence des ulcérations génitales et de l'érythème noueux chez la femme. Cependant, l'administration continue de colchicine semble efficace sur les manifestations cutanéo-muqueuses, diminuant le nombre, l'importance et les récidives des lésions. Dans la série étudiée, la colchicine en continu s'est avérée active chez 93% des patients, diminuant la fréquence et la gravité des poussées, sans nécessité d'un traitement supplémentaire pour l'aphtose. Un effet préventif des poussées est même suggéré. Deux patientes sœurs de la série étudiée ont présenté une fièvre concomitante aux poussées d’aphtose bipolaire. Le traitement de deux patients présentant des anévrysmes artériels (aorte abdominale sous-rénale et artère sous-clavière) comprenait une chirurgie associée à un traitement médical (corticothérapie, bolus de cyclophosphamide et colchicine).

2. Traitement des Poussées Aiguës et des Formes Sévères

Pour les poussées aiguës, le traitement repose sur des corticoïdes à fortes doses, par voie orale (prédnisone à 1mg/kg/jour pendant au moins 4 semaines) ou intraveineuse (bolus quotidien de 1g de méthylprednisolone pendant 3 à 5 jours, relayé par de la prednisone orale à fortes doses). Une diminution progressive des doses sur 2 à 3 mois est nécessaire pour éviter les rechutes. Un maintien à faibles doses peut être indiqué pour certains patients. Dans les cas sévères ou réfractaires, des immunosuppresseurs comme le cyclophosphamide et le chlorambucil peuvent être associés aux corticoïdes. Malgré l'utilisation fréquente de ces traitements, peu d'études contrôlées randomisées permettent d'évaluer précisément leur efficacité. Une patiente hospitalisée pour une fièvre prolongée a développé simultanément une aphtose bucco-génitale, un syndrome d'HTIC et des crises d'épilepsie ; une thrombophlébite cérébrale a été diagnostiquée. Le traitement comprenait colchicine, corticothérapie, immunosuppresseurs (AZP) et anticoagulants.

3. Autres Approches Thérapeutiques

L’interféron alpha, glycoprotéine aux propriétés antivirales, antitumorales et immunomodulatrices, est une approche thérapeutique plus récente dans le traitement de la maladie de Behçet. Son utilisation se justifie par l’hypothèse d’une association possible entre une infection virale et la maladie, ainsi que par ses effets biologiques sur les lymphocytes T. Cependant, il manque d’études contrôlées randomisées pour évaluer son efficacité de manière définitive. Son utilisation reste réservée aux formes oculaires et articulaires résistantes aux autres traitements, compte tenu de ses effets indésirables et de ses contraintes d'administration. L’autogreffe de cellules souches hématopoïétiques a montré son efficacité dans l’induction d’une rémission chez deux patients atteints de formes sévères avec anévrysmes pulmonaires résistants aux traitements conventionnels (prednisone + cyclophosphamide), et chez une patiente de 4 ans avec une atteinte intestinale sévère. Des effets indésirables, notamment une réactivation tuberculeuse (fréquente dans les pays à forte prévalence de MB), des syndromes lupiques, une aggravation de l'insuffisance cardiaque, des embolies pulmonaires, des maladies démyélinisantes et des lymphomes, peuvent survenir sous immunosuppresseurs (MTX ou AZP) à long terme.