Analyse des constructions passives non prototypiques en hongrois

Analyse des constructions passives non prototypiques en hongrois

Informations sur le document

Auteur

Anna Sőrés

École

Université De Limoges

Spécialité Linguistique
Lieu Limoges
Type de document Chapitre De Livre
Langue French
Format | PDF
Taille 0.98 MB
  • passif
  • typologie des langues
  • morphologie du hongrois

Résumé

I.Le Passif en Hongrois Constructions Non Prototypiques

Cette étude linguistique se penche sur les constructions passives en hongrois, mettant en lumière leur caractère souvent non-prototypique par rapport aux modèles établis en typologie linguistique. L'analyse explore l'évolution diachronique du passif, se focalisant sur la disparition de la forme canonique au XIXe siècle et l'émergence de constructions alternatives. Des concepts clés tels que la défocalisation de l'agent et la topicalisation du patient sont examinés à la lumière des données hongroises. L'étude compare les approches syntaxiques, sémantiques, et pragmatiques pour comprendre la diversité des morphosyntaxes impliquées. L'influence de langues voisines, notamment l'allemand, sur l'évolution du passif hongrois est également considérée. Des suffixes spécifiques comme -(t)Atik et -ható, et l’utilisation de verbes moyens et de constructions nominales, sont analysés comme des manifestations du passif non-prototypique.

1. Absence d une Théorie Générale du Passif et Approches Théoriques

L'étude débute par un constat : l'absence d'une théorie générale du passif en typologie linguistique. Malgré cela, la recherche est justifiée par les travaux récents sur le passif et les phénomènes connexes en France (Creissels 2001, Montaut 1990, 2001, Brahim 2001, Drettas 2001), lesquels ont enrichi les connaissances dans ce domaine. L'analyse du passif hongrois est motivée par son lien avec la topicalisation et la morphologie riche de cette langue accusative. Il est souligné que la voix n'est pas une catégorie grammaticale en hongrois, la valence verbale étant modifiée par des morphèmes dérivationnels. L'absence d'une forme passive prototypique conduit l'étude à considérer le passif au sens large, comme un ensemble de constructions pragmatiques. Plusieurs approches théoriques du passif sont présentées : la transformation syntaxique des grammaires génératives, et l'interprétation pragmatique du passif comme topicalisation de l'objet-patient. Cependant, Shibatani (1985) conteste cette dernière hypothèse, observant une hiérarchie différente dans la sélection du sujet passif, remettant en question le passif comme mécanisme de topicalisation. Enfin, la possibilité de passivation de verbes intransitifs, bien connue en allemand et d'autres langues, est mentionnée, introduisant le concept de prototype de passif développé par Shibatani (1985) basé sur la défocalisation de l'agent. Cette approche prototypique permet d’analyser des phrases passives plus ou moins éloignées du prototype canonique.

2. Préliminaires de l Analyse du Passif Hongrois et Méthodologie

Cette section établit le cadre méthodologique de l'analyse du passif hongrois. L'approche privilégie l'analyse pragmatique, suivie des aspects sémantiques, syntaxiques et morphologiques. Le hongrois sert d'exemple pour démontrer comment une seule fonction pragmatique peut correspondre à plusieurs réalisations morphosyntaxiques. L'étude suggère de nuancer le facteur sémantique en introduisant les traits [+humain/animé] et [+défini], impactant les constructions passives. La question du codage de l'agent est abordée, notant que le hongrois, comme beaucoup de langues, n'exige pas toujours un sujet explicite, les pronoms sujets n'apparaissant qu'en position emphatique. L'analyse suit une chronologie du développement du passif hongrois : présentation de la forme canonique disparue, des formes concurrentes anciennes et enfin des formations plus récentes. L'étude utilise un corpus composé d'un roman et de deux numéros d'hebdomadaire français afin d'analyser des phrases passives, incluant des constructions sans le verbe 'être', mais excluant d’autres constructions potentiellement passives comme les formes pronominales françaises. L'analyse s'appuiera sur les différents affixes dérivationnels et leurs emplois attestés.

3. Le Passif en t Atik Émergence et Disparition

Cette partie décrit la forme passive synthétique -(t)Atik, unique forme de conjugaison passive complète du hongrois, utilisée jusqu’au milieu du XIXe siècle. Sa structure morphologique est définie comme la combinaison de la base du verbe transitif, d’un suffixe factitif et du suffixe -ik marquant l’intransitivité. L'analyse diachronique montre une distribution inégale de cette forme dans les premiers textes hongrois écrits, absente du Halotti beszéd (fin XIIe siècle) mais présente dans l'Ómagyar Mária siralom (fin XIIIe siècle), probablement en raison de sa nature de traduction d'une poésie latine. L'émergence de la forme est située à la période de l'ancien hongrois tardif (seconde moitié du XIVe au milieu du XVIe siècle), après le proto-hongrois et l'ancien hongrois précoce. Le participe peut avoir une valeur active ou passive, ce dernier cas étant accompagné du verbe d'existence. La forme est ensuite critiquée comme un ‘germanisme’, même si elle est profondément enracinée dans la langue, son utilisation excessive étant liée à une valeur aspectuelle résultatif-statif, encore utilisée de nos jours. L'étude explore la critique normative liée à son emploi comme un faux-ami avec l'allemand, soulignant des différences morphologiques. Elle explique que la construction est surtout critiquée lorsqu’elle exprime un ‘Vorgangspassif’, et non un état statique résultatif.

4. Analyse des Constructions Passives Alternatives et Débats Normatifs

Plusieurs constructions passives alternatives sont analysées. L'emploi du participe en -vA avec le verbe d'existence van, étudié par Alberti (1998) dans le cadre de la LFG, est examiné. Alberti interprète cette construction comme une suppression d'argument, mais l'étude conteste cette analyse unifiée, distinguant deux emplois : une construction passive avec verbe transitif (suppression possible d’un argument), et une construction exprimant un état ou un changement d'état avec verbe intransitif. Des exemples sont fournis (a ház ki van adva ‘la maison est louée’, a tó be van fagyva ‘le lac est gelé’). La construction avec le participe passé, permettant l'ajout de l'agent avec la postposition által, est comparée aux subordonnées relatives. Son usage est moins fréquent que les relatives, malgré son antériorité. L'emploi prédicatif est acceptable seulement lorsque le participe est lexicalisé en adjectif. L'étude explore les verbes moyens, traditionnellement traités uniquement sémantiquement. Leur morphologie ne suffit pas à identifier leur sous-catégorie. Les verbes moyens sont analysés selon Abaffy (1978), et certains emplois sont considérés comme passifs non-prototypiques, notamment ceux où le sujet représente une « force naturelle ». La distinction entre voix moyenne et réflexive est abordée, mentionnant des travaux sur l'espagnol (Lyons 1970) et des langues méditerranéennes (Brahim 2001).

5. Suffixe ható Constructions Nominales et Emploi de la 3ème Personne du Pluriel

Le suffixe -ható, exprimant le passif potentiel (-able/-ible), est analysé comme un exemple de grammaticalisation, remontant à un verbe exprimant le potentiel. Des exemples sont donnés (eldobható ‘jetable’, levehető ‘amovible’). La construction « nom d'action + verbe support », avec le suffixe -ás/és formant un nom d'action accompagné d'un verbe support, est décrite comme une manière de relativiser l'importance de l'agent, populaire dans le journalisme et les interviews télévisées. L’étude se penche ensuite sur l'emploi de la 3e personne du pluriel sans sujet exprimé, une forme fréquente en hongrois, considérée comme un passif impersonnel, contrairement aux passifs impersonnels de l'allemand ou de l'anglais qui utilisent un sujet postiche. L'analyse examine les contextes typiques de ce passif, en particulier lorsque l'entité agissante est [-animé] et l'entité subissant l'action est [+animé] ou [+humain]. La topicalisation de l'objet-patient, même indéfini, est mentionnée, soulignant le caractère pragmatico-discursif du passif. En conclusion, l'étude analyse le corpus traduit, où la construction la plus fréquente est la 3ème personne du pluriel, la plus neutre, avec une valeur aspectuelle de processivité. Les termes de « défocalisation », « destitution » et « occultation » de l'agent sont utilisés de manière générique pour décrire la fonction du passif, mettant l'accent sur le fait que l'agent n'est jamais obligatoire en hongrois, contrairement à ce que Kurilowicz (1946) affirme.

II.Le Passif Canonique et son Déclin

La recherche identifie une forme passive synthétique ancienne, en -(t)Atik, utilisée jusqu'au milieu du XIXe siècle. Son analyse morphologique et diachronique révèle une combinaison de la base verbale, d'un suffixe factitif et du suffixe -ik marquant l'intransitivité. L'étude note son absence dans les premiers textes hongrois écrits (Halotti beszéd) et sa présence plus tardive dans l'Ómagyar Mária siralom, ce qui suggère une émergence plus tardive que le proto-hongrois. Son déclin est attribué à des facteurs normatifs et à l'influence d'autres langues, notamment l'allemand, étant parfois qualifié de « germanisme » par les grammaires normatives. L'étude souligne l'importance de l'analyse pragmatique pour comprendre l'évolution de ce phénomène.

1. Le Passif Canonique en t Atik Une Forme Synthétique Disparue

L'étude se concentre sur une forme passive synthétique, en -(t)Atik, utilisée en hongrois jusqu'au milieu du XIXe siècle. Cette construction, qualifiée de 'passive canonique', est décrite comme une forme morphologiquement complexe, constituée de la base du verbe transitif, d'un suffixe factitif et du suffixe -ik marquant l'intransitivité. L'analyse diachronique de cette forme révèle une distribution inégale dans les textes anciens. Alors qu'elle est absente du Halotti beszéd (Oraison funèbre, fin du XIIe siècle), le premier texte écrit en hongrois, elle apparaît à quatre reprises dans l'Ómagyar Mária siralom (fin du XIIIe siècle), une traduction libre d'une poésie latine. Cette différence est attribuée à la nature même du texte : la poésie rimée se prêtant plus facilement à cette forme synthétique que la prose. La lexicalisation de cette forme est soulignée, son analyse morphologique ne pouvant se faire qu'à travers une approche diachronique. Son émergence est liée à la période de l’ancien hongrois tardif, après le proto-hongrois et l'ancien hongrois précoce, marquant une évolution progressive du système de la voix passive en hongrois.

2. Du Passif Canonique aux Constructions Alternatives Déclin et Critiques

La disparition du passif canonique en -(t)Atik au XIXe siècle est expliquée par l'influence de facteurs normatifs et linguistiques, notamment l'influence de l'allemand. La forme est désormais remplacée par des constructions alternatives, objet principal de l'étude. L'étude note que même si des attestations du passif apparaissent dès le XIVe siècle avec la construction du verbe d'existence van et du participe en -vA, cet usage s’est répandu excessivement et a été critiqué comme un ‘germanisme’. Cette critique normative est pourtant jugée injuste car, morphologiquement, cette construction diffère de l'allemand. L'étude détaille les critiques spécifiques des grammaires normatives, concentrées sur l'emploi du passif de procès (correspondant au « Vorgangspassif » allemand) avec le verbe ‘devenir’ (lesz) ou son passé composé (lett), alors que le statif-résultatif est plus facilement accepté. Cette critique normative continue d'influencer la perception et l'utilisation de ces constructions par les locuteurs actuels. Le contraste est fait avec des exemples : la construction be van fejezve (‘est terminé’) est plus acceptée que be lett fejezve (‘a été terminé’).

III.Constructions Passives Alternatives en Hongrois Moderne

L'étude analyse plusieurs constructions alternatives employées pour exprimer le passif en hongrois moderne, dont la construction avec le verbe d'existence van et un participe en -vA (souvent critiqué comme un « germanisme »), et l'utilisation des verbes moyens (voix moyenne) avec des suffixes comme -ódik. L'analyse porte également sur la construction « nom d'action + verbe support », et l'emploi de la 3e personne du pluriel sans sujet exprimé. L'étude précise que l’analyse formelle seule (comme en LFG) est insuffisante pour une compréhension complète, soulignant l'importance des facteurs pragmatiques et sémantiques (tels que le trait [+humain/animé], [+défini]) dans la compréhension des choix morphosyntaxiques. La grammaticalisation de certains éléments est aussi abordée.

1. Construction Verbo Adverbiale avec van et Participe en vA

L'étude analyse la construction prédicative verbo-adverbiale utilisant le verbe d'existence van et un participe en -vA, une structure fréquente en hongrois moderne pour exprimer le passif. Cette construction, souvent qualifiée de ‘germanisme’ par les grammaires normatives, est examinée en détail. Elle est capable d'exprimer le passif, particulièrement avec des verbes transitifs, et peut aussi exprimer un état ou un changement d'état avec des verbes intransitifs. L’analyse souligne la différence d’emploi avec le participe en -t. L'analyse d'Alberti (1998) utilisant la grammaire formelle LFG est présentée, interprétant la construction comme une suppression d'argument (l’agent). Cependant, l'étude réfute cette analyse unifiée pour les verbes transitifs et intransitifs, proposant une distinction entre une construction passive avec suppression de l'agent (verbe transitif) et une construction exprimant un état (verbe intransitif). Des exemples illustrent ces deux cas : a ház ki van adva ('la maison est louée') pour le transitif et a tó be van fagyva ('le lac est gelé') pour l’intransitif. La productivité limitée de cette construction est également soulignée, certains verbes n'étant pas acceptables dans ce type de phrase.

2. Les Verbes Moyens et leur Rôle dans le Passif Non Prototypique

L'étude examine les verbes moyens hongrois et leur implication dans des constructions passives non prototypiques. Traditionnellement, les grammaires traitent ces verbes seulement du point de vue sémantique, sans détailler leur forme. Cependant, l'étude souligne que la morphologie seule ne suffit pas à identifier leur appartenance catégorielle. Deux groupes de verbes moyens sont distingués : les verbes opposés à un emploi actif d'un verbe transitif (avec des suffixes comme -it/-ul, -aszt/ad, -ít/-ad), et les verbes opposés à un verbe causatif (-ít/-ul). L'hétérogénéité de ce groupe est soulignée, selon l'analyse d'Abaffy (1978), et la difficulté d'établir des règles synchroniques pour la distribution des suffixes dérivés (Komlósy 1992). L’emploi des verbes moyens avec un sujet non-agentif, notamment [-animé] et représentant une « force naturelle », est identifié comme un passif non-prototypique. Ceci est analysé sur un continuum entre un sujet-agent actif et un sujet-patient passif. Un second emploi, issu des dialectes et non pleinement intégré à la langue standard, est mentionné, et selon Komlósy (1992), il reprendrait le rôle des formes disparues en -tAtik. La distinction entre les verbes moyens et réfléchis est débattue, la frontière entre les deux étant floue dans certaines analyses grammaticales.

3. Autres Constructions Passives Participe Passé Suffixe ható et Noms d Action

L'analyse s'étend à d'autres constructions passives alternatives. L'utilisation du participe passé avec la possibilité d'ajouter l'agent à l'aide de la postposition által est examinée. Cette construction est fréquente dans le corpus traduit, souvent en concurrence avec les subordonnées relatives. L'emploi du suffixe -ható, créant un passif potentiel (-able/-ible), est présenté comme un exemple classique de grammaticalisation, dérivant d'un verbe exprimant le potentiel. La construction est illustrée avec les exemples eldobható ('jetable') et levehető ('amovible'). Enfin, la construction « nom d'action + verbe support », utilisant le suffixe -ás/és pour former un nom d'action accompagné d'un verbe support, est étudiée. Cette structure, productive en hongrois, permet une relativisation de l'importance de l'agent, facilitant un retrait de responsabilité. Son utilisation dans les médias est remarquée. L'étude souligne la différence entre cette construction et une simple nominalisation. La productivité de la dérivation en -ás/-és et l’acceptabilité de cette construction dans d’autres contextes sont mentionnées.

4. Le Passif Impersonnel et la 3ème Personne du Pluriel

La section explore une construction passive particulière en hongrois : l'emploi de la 3e personne du pluriel sans sujet exprimé. Contrairement aux passifs impersonnels de l'allemand ou de l'anglais avec un sujet postiche, le hongrois utilise cette forme, considérée comme un passif impersonnel dans plusieurs études (Shibatani 1985). Cette construction est la plus fréquente dans le corpus analysé (environ 40%). Le patient peut être [-animé] ou [+humain], la valeur aspectuelle étant la processivité. L'étude analyse aussi le cas où aucun argument du verbe transitif n'est exprimé en surface. Ce cas se trouve uniquement avec un patient [+humain]. Lorsque le patient est à la 1ère ou 2ème personne, cette construction correspond à un contexte typique du passif, où un élément [-animé] agit sur un élément [+animé] ou [+humain] haut dans la hiérarchie d'animation. Cette construction est décrite comme la forme non-marquée dans ces contextes. Le caractère pragmatico-discursif du passif est mis en avant : la réponse à une question sur un événement peut prendre cette forme. L'importance du trait [+défini] dans la topicalisation est mentionnée, mais la topicalisation de l'objet-patient en hongrois peut également concerner des groupes nominaux indéfinis.

IV.Analyse du Corpus et Conclusions

L'analyse d'un corpus de textes (un roman et des hebdomadaires) révèle que la construction la plus fréquente est la 3e personne du pluriel, souvent utilisée de manière non-référentielle. L'étude observe un écart par rapport au prototype de passif, où l'agent est souvent omis ou non encodé. Cependant, contrairement à beaucoup d'autres langues, le hongrois permet souvent l'ajout de l'agent dans les constructions passives. L'utilisation de verbes moyens est identifiée comme une solution non-prototypique, notamment dans le cas où le sujet représente une « force naturelle ». L'étude conclut que le passif en hongrois est un phénomène fondamentalement pragmatico-discursif, avec une grande diversité de réalisations morphosyntaxiques reflétant des nuances sémantiques et pragmatiques complexes. Les concepts de « défocalisation », « destitution » et « occultation » de l'agent sont abordés pour qualifier la fonction du passif dans ces constructions.