
Gestion et Législation des Banques d'Os en Médecine
Informations sur le document
Langue | French |
Format | |
Taille | 2.51 MB |
- banques d'os
- allogreffe
- législation et éthique
Résumé
I.Utilisation des Allogreffes Osseuses au Maroc Approvisionnement et Conservation
Cette étude explore l'utilisation des allogreffes osseuses, notamment les têtes fémorales cryoconservées, en chirurgie orthopédique au Maroc. Elle souligne la nécessité d'améliorer l'approvisionnement en greffons, notamment face à la demande croissante pour des interventions telles que les arthrodèses, le traitement des pseudarthroses, et la reconstruction osseuse après des interventions pour des tumeurs osseuses. L'étude se concentre sur le projet de création d'une nouvelle banque d'os au CHU Mohamed VI de Marrakech, visant à pallier le manque actuel de ressources en matériel osseux dans le sud du pays. La banque de tissus existante à Casablanca, bien qu'active pour les greffes de moelle osseuse, connaît des limitations concernant la conservation de têtes fémorales pour allogreffes. Le projet de Marrakech prévoit une collaboration avec les chirurgiens orthopédistes de la région de Marrakech-Tensift-El Haouz, avec un objectif initial d'approvisionnement de moins de 10 têtes fémorales cryoconservées par chirurgien et par an. Des questions cruciales concernant la traçabilité, les règles de bonne pratique, les risques infectieux (notamment VIH et HTLV), et les techniques de stérilisation (irradiation, oxyde d'éthylène) sont également abordées.
1.1. Contexte et Nécessité des Allogreffes Osseuses
L'utilisation des greffes osseuses est courante en chirurgie orthopédique, leurs indications s'élargissant constamment. Bien que les autogreffes soient idéales, elles sont souvent insuffisantes, notamment lors de résections osseuses étendues ou de stock osseux réduit. Cette insuffisance justifie le recours aux allogreffes de banque d'os. Les xénogreffes sont abandonnées en raison du risque d'infection spongiforme, et les substituts osseux présentent des problèmes de biocompatibilité et de toxicité. Le principe de l'intégrité du corps humain guide l'utilisation de greffes d'organes et de tissus, un domaine en essor depuis le milieu du XXe siècle, marqué par l'organisation des banques d'organes, l'établissement de règles de bonne pratique et des aspects législatifs. L'approvisionnement des banques se fait via des prélèvements de têtes fémorales lors d'arthroplasties de hanche ou d'os massifs lors de prélèvements multi-organes.
1.2. Situation au Maroc et Projet de Banque à Marrakech
Au Maroc, le cadre législatif concernant les dons d'organes est récent (loi de 1999, décrets d'application en 2003), limitant l'expérience dans ce domaine. Une banque de tissus existe à Casablanca, principalement pour la conservation de cellules souches de moelle osseuse, avec des difficultés rencontrées pour la conservation de têtes fémorales. Des initiatives sont en cours à l'hôpital Ibn Rochd de Casablanca pour développer le prélèvement multi-cadavérique et la conservation d'os massifs. Le document présente une étude de faisabilité pour un projet de banque de têtes fémorales cryoconservées au CHU Mohamed VI de Marrakech, en collaboration avec les chirurgiens orthopédistes de la région. Ce projet répond à un besoin croissant dans la région de Marrakech-Tensift-El Haouz et le sud du Maroc. Une coopération future avec la banque d'os massifs de Casablanca est envisagée pour étendre la couverture géographique.
1.3. Approvisionnement de la Banque Les Têtes Fémorales
Les têtes fémorales, prélevées lors d'arthroplasties de hanche, sont considérées comme des résidus opératoires. Leur prélèvement, après consentement éclairé du donneur, est possible dans des établissements de soins non autorisés, mais la conservation, le transport et la distribution doivent être effectués par une banque de tissus agréée. Une collaboration entre l'établissement préleveur et la banque est donc nécessaire. L’équipe chirurgicale doit informer le patient, obtenir son consentement, et réaliser un prélèvement sanguin six mois plus tard pour les contrôles sérologiques. Un interrogatoire minutieux et un examen clinique permettent d'éliminer les contre-indications (maladies infectieuses, cancers...). Au bloc opératoire, les têtes fémorales sont placées dans un récipient stérile adapté aux basses températures et stockées à +4°C pendant moins de 72 heures avant transport à température dirigée et contrôlée par la banque. Le ministère de la santé peut retirer l'agrément d'un centre non-conforme.
1.4. Traçabilité Règles de Bonne Pratique et Contrôle Qualité
La traçabilité, obligatoire légalement, est définie comme le suivi de toutes les étapes, de l'examen clinique du donneur à l'utilisation du greffon, incluant le prélèvement, la transformation, la conservation, le transport, la distribution et la dispensation. Un système de codage assure l'anonymat. Un dossier donneur est créé à l'arrivée du greffon à la banque, contenant un codage, les mensurations et des clichés radiographiques. Un deuxième fichier suit l'utilisation des greffons et le suivi post-opératoire du receveur. La banque représente le lien unique entre le donneur et le receveur. Les règles de bonne pratique concernent l'organisation de la banque (personnel, locaux, matériel, archivage) et les aspects techniques (conservation, transformation, transport). La stérilisation par irradiation (25 KGy pour les bactéries, 35 KGy potentiellement pour le VIH) est discutée, ainsi que l'utilisation de l'oxyde d'éthylène, avec ses inconvénients (pénétration superficielle, résidus toxiques). Le criblage microbiologique du donneur reste crucial. Les critères de sélection des donneurs sont constamment revus par des sociétés scientifiques (GESTO, EAMST, EATB).
1.5. Sécurité Sanitaire et Infections Virales
La recherche du génome viral par PCR est recommandée, surtout en cas d'impossibilité de mise en quarantaine, pour une détection précoce des virus HIV, HBV et HCV. Quatre cas de transmission du VIH via des allogreffes osseuses ont été rapportés. Les infections à HTLV 1 et 2, bien que ne présentant aucun cas de transmission par allogreffe osseuse rapporté, nécessitent une recherche sérologique dans les zones d'endémie. La chirurgie d'arthroplastie, souvent programmée au Maroc, permet un meilleur criblage des donneurs, complété par des contrôles sérologiques et une période de quarantaine, garantissant une sécurité sanitaire fiable. L'irradiation, bien que le meilleur procédé de stérilisation, peut nuire aux propriétés mécaniques du greffon, ce qui doit être considéré, surtout pour les reprises de prothèses.
1.6. Mode de Traitement et Conservation No Touch
Une fois en banque, la méthode 'no touch' est privilégiée pour la conservation des têtes fémorales cryoconservées, afin de garantir une sécurité bactérienne maximale. Toute manipulation après le conditionnement initial est source de contamination potentielle. Des mesures d'asepsie rigoureuses sont essentielles lors du prélèvement. L'assurance qualité inclut la mise en place d'un comité d'éthique hospitalier composé de professionnels de santé, de juristes et d'un représentant du culte musulman. Ce comité aura un rôle consultatif et informatif pour identifier les problèmes éthiques liés à l'hôpital et à la banque d'os, et pour diffuser recommandations et orientations.
II.Techniques de Greffe et Incorporation de l Allogreffe
Le document détaille les techniques de greffe osseuse, en particulier l'incorporation des allogreffes. Il décrit le processus de 'substitution rampante' ('creeping substitution') de Phemister, expliquant le remplacement progressif de l'allogreffe par de l'os nouveau issu de l'hôte. La différence d'incorporation entre les greffes spongieuses et corticales est soulignée, ainsi que l'importance de la revascularisation et le rôle de la réaction inflammatoire. L'étude aborde les risques immunitaires, mentionnant le rejet chronique et l'encapsulation fibreuse de l'allogreffe comme complications possibles, bien qu'un rejet aigu n'ait jamais été observé. L'impact de la compatibilité HLA est également discuté, ainsi que l'importance de la solidarisation allogreffe-os receveur et les techniques d'ostéosynthèse.
2.1. Incorporation des Allogreffes Le Phénomène de Creeping Substitution
L'incorporation des allogreffes osseuses est un processus clé, décrit par le phénomène de « creeping substitution » (substitution rampante) selon Phemister. Ce processus implique un remplacement progressif de l'allogreffe par de l'os néoformé issu des ostéoblastes de l'hôte. Les allogreffes spongieuses fraîches suivent un modèle d'incorporation similaire aux autogreffes spongieuses, mais avec des délais plus longs et des résultats moins complets en raison d'un retard de revascularisation et d'une réaction inflammatoire plus importante. Ce retard entraine une nécrose des cellules du greffon. La préservation des cellules osseuses et médullaires du greffon lors de sa préparation est donc inutile, voire nocive d'un point de vue immunitaire. Les étapes ultérieures varient selon la nature de la greffe. Pour les greffes spongieuses, la structure poreuse facilite la pénétration des bourgeons vasculaires, et les ostéoblastes déposent de la substance ostéoïde sur les travées, suivies d'une phase de résorption osseuse. L'ostéogenèse et l'ostéolyse évoluent parallèlement, menant au remplacement complet du greffon spongieux. Dans le cas des greffes corticales, l'apposition d'os nouveau ne commence que vers le troisième mois, et la colonisation reste incomplète, surtout pour les allogreffes massives. Le remodelage intéresse seulement la partie périphérique de la corticale. Il faut compter deux à trois ans pour que le greffon acquière une densité et une résistance biomécanique normale.
2.2. Solidarisation Allogreffe Os Receveur et Jonction Greffon Os
Une solidarisation robuste et durable entre l'allogreffe et l'os receveur est essentielle pour une meilleure revascularisation et incorporation, permettant une rééducation rapide. L'ostéosynthèse est une technique clé pour cette solidarisation. L'enclouage centromédullaire, éventuellement scellé au ciment, est la méthode la plus adaptée. L'association à une ostéosynthèse de surface permet de contrôler les contraintes en rotation et de supprimer la micro-mobilité, favorisant la formation du cal jonctionnel. Cependant, une ostéosynthèse de surface trop importante risque de fragiliser le greffon et de provoquer des fractures. La surface de contact entre les extrémités de l'allogreffe et de l'os receveur doit être la plus étendue possible, plus facile à réaliser en zone métaphysaire qu'en zone diaphysaire. L'affrontement cortical ou l'encastrement du greffon dans une enveloppe de périoste de l'os receveur sont possibles. L’encastrement procure une meilleure stabilité et favorise la formation du cal jonctionnel. Pour le traitement de la pseudarthrose, une décortication primaire stimule la formation osseuse, suivie de l'exérèse du tissu fibreux et des séquestres osseux. Des greffons spongieux sont tassés dans le défaut diaphysaire, et les lambeaux musculo-périostés sont rapprochés pour améliorer la revascularisation, le tout étant stabilisé par une ostéosynthèse appropriée pour une compression éventuelle.
2.3. Réaction Immunitaire et Risques de Rejet
Les antigènes HLA présents à la surface des cellules osseuses, hématopoïétiques, leucocytes, vaisseaux et nerfs sont responsables de l'immunogénicité. L'élimination de la moelle osseuse diminue la réaction immunitaire, mais ne la supprime pas totalement. Les allogreffes spongieuses, plus riches en cellules, entraînent une réponse antigénique plus importante que les greffes corticales. Un retard de revascularisation et d'ostéoformation, une réaction inflammatoire importante, et une résorption osseuse sont des phénomènes liés à la réaction immunitaire. Bien qu'un rejet aigu n'ait jamais été observé, un rejet chronique (10 à 20% des échecs) peut se manifester par un encapsulement fibreux de l'allogreffe, empêchant la 'creeping substitution'. Cliniquement, cela se traduit par un écoulement aseptique et une résorption du greffon visible sur les radiographies. Des études animales n'ont pas clairement établi la relation entre la réaction immunitaire et le rejet. Une étude sur 26 allogreffes massives cryoconservées n'a pas trouvé de lien clair entre la compatibilité immunologique (typage HLA et cross-match) et l'incorporation de l'allogreffe.
III.Complications et Aspects Cliniques
Les complications associées aux allogreffes osseuses sont abordées, notamment les infections (complication la plus grave), et les fractures, souvent observées entre le 8ème et le 18ème mois post-opératoire. La prévention de ces complications passe par des mesures rigoureuses d'asepsie, d'antibioprophylaxie, et le choix de techniques d'ostéosynthèse appropriées. L'étude met l'accent sur l'importance de la stabilisation et de la revascularisation pour le succès de la greffe. Des informations sur l'utilisation des allogreffes dans différentes situations cliniques sont fournies : traitement de la pseudarthrose, de l'ostéomyélite chronique, les arthrodèses, la reconstruction osseuse après des résections tumorales ou des échecs de chirurgie prothétique (notamment des reprises d'arthroplasties de hanche).
3.1. Infections La Complication la Plus Grave
L'infection est la complication la plus grave liée aux allogreffes osseuses, souvent synonyme d'échec. Le retard de vascularisation de l'allogreffe limite l'efficacité des antibiotiques. De ce fait, de plus en plus de chirurgiens optent pour l'utilisation d'os irradiés afin d'obtenir une sécurité maximale, en complément d'une sécurisation bactériologique rigoureuse de toutes les étapes de la greffe. Le respect de mesures prophylactiques per et post-opératoires est primordial pour améliorer les résultats. Ces mesures incluent une bonne hémostase, la mise en place de drains pendant au moins 48 heures post-opératoire, une antibioprophylaxie intraveineuse pendant au moins 96 heures, avec un relais oral pendant deux à trois mois. Le but est de réduire la réaction de l'hôte contre le greffon et de favoriser sa vascularisation.
3.2. Fractures Risques et Prévention
Les fractures, observées dans 10% des cas de greffes massives, surviennent pendant la période de fragilité du greffon (entre le 8ème et le 18ème mois environ). Une mise en décharge prolongée est nécessaire durant cette période, ainsi que l'utilisation d'une ostéosynthèse solide (enclouage centromédullaire). Il est important d'obtenir une surface de contact la plus grande possible entre l'allogreffe et l'os receveur (par encastrement), et d'ajouter de l'os spongieux autologue à la jonction. Ces mesures visent à minimiser les risques de fractures et à garantir la solidité de la reconstruction osseuse. Le document souligne l'importance d'une ostéosynthèse appropriée pour une meilleure stabilisation de la greffe et une réduction des risques de complications.
3.3. Applications Cliniques des Allogreffes Osseuses
Les allogreffes osseuses, obtenues soit à partir de têtes fémorales de donneurs vivants lors d'arthroplasties de hanche, soit de segments osseux massifs de cadavres, sont utilisées dans diverses situations cliniques. Le document mentionne leur utilisation dans le traitement de la pseudarthrose, de l'ostéomyélite chronique et des arthrodèses, où la greffe joue un rôle ostéoinducteur. En cas d'impossibilité d'autogreffe ou de défaut osseux important, l'allogreffe de banque (os spongieux de têtes fémorales cryoconservées) est privilégiée. Pour l'ostéomyélite, l'ablation du ciment et le comblement par de l'os spongieux après tarissement de l'infection est une technique utilisée, certaines équipes préférant un comblement immédiat avec de l'os spongieux imprégné d'antibiotiques. Les allogreffes morcelées sont aussi utilisées pour la reconstruction osseuse après descellement de prothèses de hanche, offrant des résultats encourageants à court terme et une meilleure stabilité comparée aux autogreffes. Elles sont également employées dans le comblement de cavités résiduelles après curetage tumoral (chirurgie intra-lésionnelle pour tumeurs bénignes) et dans la reconstruction osseuse post-tumorale, notamment pour les sarcomes de la hanche, où elles offrent de bons résultats fonctionnels à court terme, surtout chez les jeunes patients.
IV.Faisabilité du Projet de Banque d Os à Marrakech
La faisabilité du projet de banque d'os à Marrakech est évaluée à travers une enquête auprès des chirurgiens orthopédistes de la région. L'enquête révèle un besoin réel en allogreffes osseuses, avec une estimation de la demande inférieure à 10 têtes fémorales cryoconservées par chirurgien et par an. Le projet vise à améliorer l'accès à ce type de greffe dans le sud du Maroc, réduisant ainsi le recours à une chirurgie radicale ou à des soins à l'étranger. L'étude examine les aspects légaux, éthiques, organisationnels, techniques et financiers de la mise en place de cette banque.
4.1. Enquête d Opinion auprès des Chirurgiens Orthopédistes de Marrakech
Une enquête d'opinion auprès des chirurgiens orthopédistes marocains a été menée pour évaluer le besoin réel en banque d'os et la faisabilité du projet à Marrakech. L'enquête visait à déterminer l'intérêt et la pertinence d'une banque d'os dans la région de Marrakech-Tensift-El Haouz, et à estimer la demande en greffons osseux. Sur 23 chirurgiens orthopédistes de la région, seulement 2 se sont déclarés peu intéressés, tout en s'engageant à collaborer et à approvisionner la future banque. La majorité (plus de 63%) des chirurgiens estiment avoir besoin de moins de 10 têtes fémorales cryoconservées par an. Cette estimation suggère que les besoins de la région pourraient être couverts par la banque d'os de Marrakech, ce qui indique une faisabilité du projet au niveau de l’approvisionnement.
4.2. Aspects Législatifs Éthiques et Organisationnels du Projet
L'étude a examiné les aspects législatifs, éthiques, organisationnels, techniques et financiers nécessaires à la mise en place d'une banque d'os à Marrakech. Le projet est justifié par le besoin croissant de matériel osseux dans la région pour la traumatologie, l'oncologie osseuse et les reprises d'arthroplasties. Le manque d'allogreffes pousse les chirurgiens orthopédistes à recourir à une chirurgie plus radicale ou à référer leurs patients vers l'étranger, engendrant des coûts importants. La création de la banque permettrait d'améliorer l'accès aux greffes osseuses et de réduire le recours à des solutions plus coûteuses et moins avantageuses pour les patients. L'étude souligne l’importance de considérer les aspects éthiques en mettant en place un comité d'éthique au sein de l’hôpital.