
Mondialisation culturelle: Cinéma gabonais
Informations sur le document
Auteur | Carinne Nkoule Nkoghe |
instructor | Professeur Fabrice Montebello |
École | Université de Lorraine |
Spécialité | Sociologie |
Type de document | Thèse |
Lieu | Libreville |
Langue | French |
Format | |
Taille | 7.82 MB |
Résumé
I.Le Cinéma Gabonais Diffusion et Défis
Cette étude sociologique explore le paysage cinématographique gabonais, plus particulièrement à Libreville, en mettant en lumière les défis de la diffusion et de la production de films. Elle analyse les différents acteurs impliqués, des vidéoclubs formels et informels (vidéoclubs kiosques, vidéoclubs par terre, vidéoclubs brouettes, vidéoclubs « debout debout ») aux chaînes de télévision (RTG1, TV+, RTN, etc.) et aux salles de cinéma, dont l'Institut Français du Gabon est la dernière représentante active. L'étude souligne la prépondérance des films africains, notamment nigérians et ivoiriens, ainsi que l'impact de la vidéoprojection et du piratage sur la rentabilité des salles. La population de Libreville (environ 578 156 habitants en 2005, mais probablement plus compte tenu de l'immigration), avec sa diversité ethnique (Gabonais, Nigérians, Béninois, Européens, etc.), joue un rôle crucial dans la consommation des films, avec des préférences marquées pour certains acteurs (Michel Gohou, Nastou Traoré, Geneviève N'naji, Joseph Van Vicker) et des genres spécifiques (comédie, drame).
1. Contexte et Difficultés de l Industrie Cinématographique Gabonaise
L'étude débute par un constat : le secteur du cinéma au Gabon est confronté à des difficultés considérables. Le manque d'une stratégie globale adéquate est pointé du doigt, les compagnies multinationales ne gérant pas leurs filiales de manière suffisamment intégrée. Le travail de recherche sur le cinéma gabonais est rare et difficile à réaliser en raison du poids de l'informel, la majorité des vidéoclubs opérant illégalement. Le Conseil National de la Communication (CNC), chargé du contrôle de l'activité cinématographique, fait preuve d'une négligence importante : son bureau ne possède que le rapport annuel incomplet de 2007, ignorant la programmation des salles de cinéma conventionnelles et de l’Institut Français du Gabon. Cette situation est aggravée par le manque de transmission de programmes par les chaînes de télévision, plusieurs diffusant des films sans enregistrement préalable. La faible production et diffusion du cinéma gabonais amène l'auteur à considérer, comme le suggère Bernardin MINKO MVE (2008), que l’application de politiques cinématographiques étrangères pourrait être salutaire. Le cinéma gabonais peine à se faire connaître, même localement, et l'intégration d'éléments de cinémas étrangers plus performants est envisagée comme une solution pour sa croissance.
2. Méthodologie de Recherche
L'enquête de terrain s'appuie sur une méthodologie des sciences sociales, utilisant principalement des entretiens semi-directifs. La méthode, inspirée de Jean-Claude COMBESSIE (2001), a consisté à annoncer le thème de l’étude aux informateurs et à utiliser un guide d'entretien. Cinq guides différents ont été utilisés, ciblant des groupes spécifiques : vendeurs et gérants de vidéoclubs, professionnels du cinéma (Institut de l’Image et du Son, CNC), représentants des chaînes internationales et chaînes de télévision publiques et privées. Au total, quarante-cinq entretiens ont été réalisés. Des questionnaires, inspirés de Jean-Michel GUY (2000) mais adaptés au contexte gabonais, et une observation directe ont également été employés. L’adaptation du questionnaire de Guy a nécessité des ajustements pour tenir compte des réalités gabonaises, notamment l’ambiguïté du vocabulaire et le risque de réactions négatives liées au regroupement de certaines professions.
3. Libreville Contexte Géographique et Social
La ville de Libreville, capitale politique et administrative du Gabon, est présentée comme un contexte essentiel à l’étude. Située sur l'estuaire du Gabon, sa population était officiellement de 578 156 habitants en 2005. Cependant, l'immigration non maîtrisée suggère un chiffre plus élevé. Libreville est décrite comme une cité cosmopolite, rassemblant toutes les ethnies du Gabon, ainsi que des immigrés d'Afrique centrale et de l'Ouest, des Européens, des Libanais, des Marocains et une population asiatique croissante. Les quartiers défavorisés, appelés « matitis », hébergent la population la plus vulnérable. La géographie du Gabon, avec ses voies fluviales et terrestres, est présentée à la fois comme un atout et une faiblesse, facilitant l’immigration clandestine, un problème abordé par plusieurs articles du quotidien national l’Union qui mentionne, par exemple, le refoulement de près de 1500 clandestins au cours d’un seul trimestre en 2007. Cette situation a aussi des conséquences sur le marché informel du cinéma.
II.Les Diffuseurs de Films au Gabon
L'analyse se concentre sur les différents acteurs de la distribution de films au Gabon. Les vidéoclubs, souvent tenus par des immigrés africains, jouent un rôle important, bien que majoritairement informels. Les chaînes de télévision (publiques, privées et internationales), dont le nombre est estimé à 1059, contribuent à la diffusion des films, mais la communication des programmes est défaillante (le rapport annuel du Conseil National de la Communication (CNC) est incomplet). Le rôle des distributeurs tels que Canal+ Horizons, CFI, IGIS, et les plateformes en ligne est également examiné, ainsi que leurs stratégies de distribution. L’impact de la télévision (chaînes comme RTI, RTS, RTB), et des bouquets satellitaires (Canalsat, Accès, Évasion) sur les habitudes de consommation est analysé.
1. Les Vidéoclubs Acteurs Majeurs de la Distribution Informelle
Au Gabon, la distribution de films est largement dominée par les vidéoclubs, souvent gérés par des Africains non instruits originaires de diverses régions du continent. Ces gérants, pour des raisons financières, cumulent les rôles de gérant et de vendeur. Ils opèrent principalement dans l'informel, travaillant de jour comme de nuit sur les marchés anarchiques, en toute illégalité, sans documents officiels. Le quotidien national l’Union a dénoncé ce phénomène dès 1988, soulignant l'abandon par les Gabonais de pans entiers du commerce de détail au profit de populations étrangères. L'ouverture géographique du Gabon, mentionnée par l’Institut Pédagogique National et Laboratoire de Cartographie (1983), contribue paradoxalement à cette immigration clandestine, accentuant le poids de l’informel dans le secteur de la distribution cinématographique. Le témoignage d’un gérant de vidéoclub, dont l’établissement a été incendié, éclaire sur les deux principaux modes de distribution: internet (pour les films occidentaux) et le commerce de gros, souvent géré par des compatriotes. Internet, selon Jean-Paul FOURMENTRAUX (2005), offre des cadres de production et de diffusion d'images, confirmant son rôle croissant dans la distribution cinématographique.
2. Les Chaînes de Télévision et les Plateformes Numériques Une Distribution Plus Formelle
L’étude explore ensuite le rôle des chaînes de télévision dans la diffusion de films. A Libreville, la chaîne privée Radio Télévision Nazareth collabore avec des maisons de production nigérianes pour la distribution sur le territoire national. Les méthodes de distribution varient : le marché Mont-Bouët fonctionne via des échanges directs entre commerçants et grossistes, tandis que les chaînes de télévision et les sites internet utilisent une approche technologique plus sophistiquée. Malgré leurs différences de statut, tous ces acteurs jouent un rôle crucial en tant que distributeurs et diffuseurs. L'étude s'intéresse également à l'exemple d'une chaîne de télévision non précisée, dont les services (programmes, communiqués, régie) sont coordonnés par des professionnels. Cette chaîne diffuse divers genres de films (action, fiction, comédie, horreur) et utilise les DVD comme support. Des partenariats avec Canal France Internationale (CFI) et Canal+Horizon permettent l’acquisition gratuite de nombreux films, principalement africains, français et américains. Les distributeurs clés sont identifiés : Côte-Ouest, IGIS, CFI et Canal+Horizon.
3. L Institut Français du Gabon et la Distribution de Films Africains
Le département cinéma de l'Institut Français du Gabon (IFG), présenté par Patrick DEVAUTOUR, a pour mission la réception et la diffusion d’œuvres cinématographiques. Il s’approvisionne en films africains via le Festival de Cannes (où l'IFG assure le secrétariat du Fonds Sud Cinéma) et sa propre cinémathèque Afrique Historique. Cette dernière a été créée dès les indépendances pour préserver et diffuser le patrimoine cinématographique africain. L’étude mentionne également le rôle du Centre National du Cinéma au Gabon (CENACI), créé en 1971, dont l’efficacité a été variable, mais qui a connu un renouveau à partir de 1985 sous la direction de Simon AUGE. L'article 145 du code de la communication attribue au CNC le droit de publier un bilan annuel des entreprises de production cinématographique, un droit étendu aux entreprises d’exploitation audiovisuelles selon l’article 152. Malgré cette réglementation, le CNC montre une certaine inefficacité, comme le montre le manque de documentation récente sur les activités cinématographiques.
III.Le Marché du Cinéma au Gabon Situation des Salles et de la Production
Le secteur des salles de cinéma au Gabon est en crise, avec la plupart des salles ayant fermé leurs portes (à l’exception de l'unique salle de l'Institut Français). Cette situation est attribuée à la faible rentabilité, liée à la vidéoprojection, au piratage de DVD (2 à 3 euros en moyenne sur le marché parallèle) et à la concurrence accrue de la télévision. La production cinématographique gabonaise, malgré la création du Centre National du Cinéma (CENACI) en 1971, reste limitée, reliant les cinéastes gabonais à des coopérations internationales, pour pallier aux problèmes de financement et de diffusion. L’étude met en avant le rôle du CNC dans la régulation, même si son efficacité reste discutable, ainsi que l’impact de l'environnement politique et économique sur la production et distribution cinématographique.
1. La Crise des Salles de Cinéma à Libreville
L'étude révèle une situation critique pour les salles de cinéma à Libreville. Après une période faste entre 1975 et 1990, les années 2000 ont marqué la fermeture de la quasi-totalité des salles, seul le Majestic ayant résisté quelques années avant sa fermeture en 2009. Le quotidien l’Union (2007) attribue cette fermeture à la non-rentabilité, soulignant l'absurdité de la fermeture de salles de cinéma alors que d'autres services du même complexe (restaurants, etc.) restent ouverts. Frédéric MASSIN (2005), dans son analyse sur les salles de cinéma francophones d’Afrique subsaharienne, confirme cette tendance, mentionnant des fermetures à Dakar et Bamako, et des difficultés persistantes au Burkina Faso, en Guinée et au Niger. Au Bénin, malgré la rénovation d'une salle, le problème de la rentabilité demeure. En Côte d'Ivoire, les événements politiques ont aggravé la situation. MASSIN met en lumière le développement fulgurant de la vidéo et de la télévision, ainsi que le rôle de la piraterie DVD, vendant les nouveautés à des prix défiant toute concurrence (1500 à 2500 FCFA).
2. Le Rôle de l Institut Français du Gabon et du Centre Culturel Français
En contraste avec la situation générale, l'étude met en avant le Centre Culturel Français (CCF) de Libreville, qui, selon sa lettre de 2009, enregistre une fréquentation importante (5000 à 6000 spectateurs par mois) grâce à une programmation diversifiée (concerts, festivals, ateliers). Les projections cinématographiques, mettant l’accent sur les films africains et gabonais, contribuent à maintenir une certaine activité. L’Institut Français du Gabon (IFG), selon son agenda de 2011, a élargi ses activités à la science (colloques, symposiums), mais continue de jouer un rôle important dans la diffusion cinématographique, notamment à travers le secrétariat du Fonds Sud Cinéma depuis 2011 et sa cinémathèque Afrique Historique. L’IFG héberge de nombreuses conférences et symposiums, confirmant son engagement envers la culture et la diffusion de films.
3. La Production Cinématographique Gabonaise Difficultés et Coopérations
L’étude examine la situation de la production cinématographique gabonaise, soulignant les difficultés du secteur. Le Centre National du Cinéma au Gabon (CENACI), créé en 1971, a connu des périodes d’inefficacité avant de renaître en 1985. Les cinéastes gabonais, face aux difficultés de production et de diffusion indépendante, collaborent souvent avec des cinéastes européens et africains. L'exemple d'Imunga IVANGA, collaborant avec des Européens, est mentionné, tout comme les co-productions Sud-Sud, avec le CENACI produisant des films tels que Le grand blanc de Lambaréné, réalisé par le Camerounais Bassek BAKHOBIO. La réglementation concernant le marché du cinéma est mentionnée, notamment l’article 67 sur la création d’entreprises privées audiovisuelles et l’article 157 accordant au CNC un droit de regard sur toutes les activités de production, distribution et exploitation cinématographiques. Les sanctions possibles en cas d’infraction incluent l’interdiction définitive d’exercer.
IV.Consommation Cinématographique Gabonaise Habitudes et Préférences
L'étude explore les habitudes de consommation cinématographique des Gabonais, soulignant l’importance des films africains (particulièrement nigérians et ivoiriens) en raison de leur accessibilité et de leur pertinence culturelle. Les séries latino-américaines et les films occidentaux sont aussi consommés via la télévision et les vidéoclubs. Les épiceries et petits commerces, lieux de rassemblement, servent aussi de points de visionnage collectif, mettant en avant la place des séries télé et de l'ambiance sociale dans la consommation cinématographique. L’étude analyse également comment les spots publicitaires contribuent à promouvoir les films et les programmes télévisuels, comparant l'utilisation de supports imprimés (comme le quotidien l’Union) à d'autres méthodes.
1. Préférences Cinématographiques des Gabonais
L'étude se penche sur les habitudes de consommation cinématographique de la population gabonaise. Les films africains, notamment nigérians et ivoiriens, sont particulièrement appréciés pour leur accessibilité et leur proximité avec le quotidien gabonais. Les thèmes abordés (polygamie, sida, corruption, chômage…) résonnent avec les réalités locales, soulignant l'importance de la pertinence culturelle des films. Armand MATTELARD (2005) est cité pour son analyse selon laquelle une œuvre étrangère peut parfois mieux correspondre aux attentes d'un public que les productions nationales. Les acteurs ivoiriens Michel BOHIRI, Michel GOHOU, et Nastou TRAORE ainsi que le Nigérian Jackie APPIAH sont particulièrement appréciés, leurs performances apportant joie et gaieté. L'originalité des films ivoiriens réside dans leurs décors (maquis, cours communes), l'utilisation des langues vernaculaires et des proverbes, et un registre de langue familier. Cette appropriation d'éléments culturels étrangers est analysée à travers les travaux de Michel de CERTEAU (1990) et Richard HOGGART (1957), qui soulignent la créativité des cultures populaires dans l'intégration et la transformation d'éléments étrangers.
2. Influence des Séries Télévisées et des Supports de Diffusion
Les séries latino-américaines occupent une place importante dans le paysage audiovisuel gabonais, diffusées sur les chaînes nationales et internationales (RTG1, RTI, ORTM, France O). Elles sont consommées à la télévision et en vidéo. Jean-Pierre ESQUENAZI (2012) est cité pour son analyse sur l’impact des séries en tant que « phénomène de société autant que médiatique », soulignant leur popularité auprès de toutes les classes et tous les âges. L'étude analyse également la promotion des films à la télévision, principalement par le biais de spots publicitaires. Ces spots, généralement composés de trois niveaux, diffusent des extraits de films, annoncent le jour et l’heure de diffusion, et parfois incluent un commentaire. La RTG1 est citée comme un exemple de chaîne appliquant cette stratégie à plusieurs reprises dans la journée. Le quotidien national l’Union publie également un programme hebdomadaire des films diffusés à la télévision, une pratique qui existe depuis les années 1980, soulignant une continuité dans les méthodes de promotion.
3. Consommation Cinématographique dans les Espaces Publics
L'étude examine la consommation de films dans des espaces publics, tels que les boutiques de quartier, souvent appelées « chez le malien ». Ces épiceries, équipées de télévisions et abonnées aux bouquets satellites, attirent les jeunes en soirée pour regarder principalement des séries d'Afrique de l’Ouest. L'ambiance sociale et les interactions entre les jeunes spectateurs autour du visionnage sont soulignées par les témoignages recueillis. Basile-Armand de MENBOME NZIBE et Axel-Roger ONDO ONDONO décrivent ces endroits comme des espaces de convivialité, d'évasion et de liberté, où les jeunes peuvent partager des moments de détente et commenter ensemble les programmes. Cette pratique met en évidence l’importance des espaces communautaires dans la consommation de films et de séries, au-delà des supports individuels comme les DVD ou les abonnements satellites.