
La Parole comme Brouillon Continu : Analyse des Reformulations Réparatrices
Informations sur le document
Auteur | Denis Apothéloz |
École | Université De Fribourg |
Spécialité | Linguistique |
Lieu | Berne |
Type de document | Chapitre de livre |
Langue | French |
Format | |
Taille | 337.60 KB |
- linguistique
- reformulations
- parole improvisée
Résumé
I.Analyse des changements de programme syntagmatique dans la parole spontanée
Cette étude analyse les mécanismes de reformulation dans la parole spontanée, en se concentrant sur les interactions entre micro-syntaxe et macro-syntaxe. L'article examine comment les locuteurs gèrent les difficultés de traitement linguistique en temps réel, mettant en lumière l'importance de la mémoire discursive et des contraintes cognitives. L'analyse porte sur des phénomènes comme l'abandon de constructions (pseudo-clivées, nominativus pendens), l'autocorrection, et les syllepses syntagmatiques, illustrant la plasticité et l'adaptabilité des structures linguistiques en contexte conversationnel. Des exemples concrets en français illustrent les différents types de changements de combinatoire syntagmatique, soulignant le passage fréquent de la micro-syntaxe à la macro-syntaxe pour des raisons de clarté et d'ajustement au contexte informationnel partagé.
1. Phénomènes de l oral ordinaire et traitement en ligne
L'étude commence par souligner l'importance croissante accordée aux phénomènes caractéristiques de l'oral ordinaire : formulations abandonnées, hésitations (piétinements, recherches lexicales), structures hybrides, autocorrections. Longtemps considérés comme des 'incidents de performance', ces phénomènes sont désormais reconnus comme intrinsèques à la parole improvisée et engagée dans l'interaction. Ils révèlent la complexité du traitement en ligne des structures linguistiques et discursives, soulignant leur plasticité et leur caractère adaptatif face aux imprévus de la situation de communication. L'analyse de ces phénomènes permet de mieux comprendre les contraintes du traitement linguistique en temps réel et la capacité d'adaptation du locuteur à son environnement communicationnel. L'approche adoptée considère ces aspects comme normaux et riches d'informations sur le processus de production linguistique.
2. Analyse d une séquence et hypothèses explicatives
Une séquence illustrative est analysée : un locuteur amorce une unité macro-syntaxique de type pseudo-clivée, puis l'interrompt. La reformulation qui suit, sous la forme d'une clause unique, soulève la question de la continuité sémantique et de l'annulation partielle de la structure initiale. Deux interprétations sont proposées : soit une simple substitution d'une construction orale (nominativus pendens) par une construction plus standard, soit un changement de combinatoire macro-syntaxique plus profond, lié à l'ambiguïté de la clause préparatoire. L'analyse met l'accent sur la notion de 'changement de programme syntagmatique', c'est-à-dire une modification de la combinatoire syntaxique au cours de la production. Cette analyse explore les différentes interprétations possibles et les implications pour la compréhension des mécanismes de reformulation dans la parole spontanée. L'ambiguïté sémantique de la phrase originale est identifiée comme un facteur clé de l'abandon de la construction initialement choisie.
3. Changements de combinatoire micro syntaxe vers macro syntaxe
L'étude examine les cas où une unité macro-syntaxique (période) semble enchâssée dans une unité micro-syntaxique (clause). La question de l'exception au modèle de la triple articulation est posée. Des exemples illustrent des suites fréquentes dans l'oral (nous on, moi je, etc.), qui sont traitées comme des variantes allomorphiques. Certains cas, comme les constructions [clause [période]], semblent relever d'un défaut d'iconicité constructionnelle plutôt que d'une véritable enchâssement syntaxique. La notion de 'pseudo-recteurs' (Blanche-Benveniste, 1989) est introduite pour les verbes comme 'penser', 'croire' ou 'trouver' dans certaines configurations spécifiques. L’analyse met en avant les discordances entre la catégorie définie par une position syntaxique et celle du constituant qui l’occupe, ce qui souligne un mécanisme d’extension analogique observable dans l’évolution des langues. L'analyse explore les frontières entre micro et macro-syntaxe et la possibilité de transgression des normes syntaxiques conventionnelles en conversation.
II.Types de reformulation et syllepses syntagmatiques
Le document identifie plusieurs types de reformulation : abandon-reformulation sans incident apparent, avec un invariant sémantique ; abandon et réparation avec recyclage d'éléments linguistiques (syllepse syntagmatique), modifiant le statut syntaxique des segments ; et l'utilisation de parenthèses et d'énumérations longues comme facteurs déclenchant des changements de programme. L'analyse met en avant le rôle adaptatif de ces mécanismes, montrant comment les locuteurs ajustent leur production linguistique en fonction de contraintes cognitives, interactionnelles et contextuelles. L'étude souligne l’importance des données prosodiques pour l'interprétation des incidents de formulation et des réparations.
1. Reformulations complètes et invariant sémantique
L'analyse explore des cas de reformulation où les formulations initiale et finale sont complètes, sans incident apparent. Ce type de reformulation soulève la question des raisons sous-jacentes au changement de combinatoire syntagmatique et de la notion même d'invariant sémantique entre les deux versions. L'étude pose la question de savoir si un même sens est conservé malgré un changement de structure. Des exemples sont présentés pour illustrer cette situation où le locuteur passe d’une séquence macro-syntaxique à une clause unique, soulignant la nécessité d’une analyse fine des mécanismes de reformulation et de la persistance ou non d'un invariant sémantique. Cette première catégorie de reformulation se distingue des autres par l'absence d'interruption ou d'incident manifeste dans le processus de formulation initiale.
2. Syllepses syntagmatiques et recyclage de segments
Le document examine un type de reformulation impliquant une 'syllepse syntagmatique', où un segment d'une construction abandonnée est réaffecté à une autre construction sans être répété. Le statut syntagmatique de ce segment est ainsi réinterprété, cumulant deux fonctions distinctes. Ce recyclage est comparé à la création de mots-valises, soulignant l'analogie entre les deux phénomènes au niveau de la structure et de l'appartenance simultanée à deux unités distinctes. Cependant, la comparaison est nuancée, car la syllepse syntagmatique est considérée comme un mécanisme adaptatif, contrairement aux mots-valises qui sont déductibles de principes morphologiques. L'analyse soulève la question de la mémorisation consciente ou non des éléments linguistiques par le locuteur, liée au traitement cognitif et à l'attitude vis-à-vis de la norme. Ce type de reformulation met en évidence la flexibilité et la capacité d'adaptation du locuteur dans la construction de ses phrases.
3. Abandon reformulation avec syllepse syntagmatique Exemples et mécanismes
Plusieurs exemples illustrent l'abandon-reformulation avec syllepse syntagmatique. Le cas d'un locuteur qui commence une construction micro-syntaxique, puis l'abandonne pour une construction macro-syntaxique en recyclant un syntagme sans le répéter, est analysé. Ce syntagme acquiert ainsi un double statut syntagmatique (sujet puis clause cadre), justifiant le terme de 'syllepse syntagmatique'. Un autre exemple montre un locuteur qui abandonne une première formulation de question (micro-syntaxique) pour une autre (macro-syntaxique), soulignant l'importance des indications prosodiques pour lever les ambiguïtés d'interprétation. L’étude met en lumière le fait que des segments linguistiques peuvent être réutilisés et réinterprétés au cours d’un processus de reformulation. L’analyse détaille comment ces mécanismes contribuent à la fluidité et à l’adaptation du langage dans la communication orale spontanée.
III.Causes et circonstances des changements de combinatoire
Plusieurs facteurs influencent les changements de combinatoire syntagmatique : énonciations parenthétiques, énumérations longues, difficultés référentielles, impasses syntaxiques, besoin d'ajuster l'information au contexte. L'étude montre une prédominance du passage de la micro-syntaxe à la macro-syntaxe lors des reformulations, suggérant que les constructions macro-syntaxiques offrent une meilleure gestion de l'information et un ajustement plus fin à la mémoire discursive. Les dislocations à gauche, par exemple, jouent un rôle dans la gestion du tour de parole et la délimitation du champ des réponses attendues. Le document explore également la gestion des repérages énonciatifs et les difficultés liées à l’introduction de la parole d’autrui.
1. Facteurs influençant l abandon d une construction
L'étude identifie de multiples facteurs, internes ou externes, linguistiques ou non, qui peuvent perturber la mise en discours et conduire à l'abandon d'une construction. Parmi ces facteurs, on retrouve les énonciations parenthétiques, les énumérations longues, les hésitations (piétinements), les adjonctions multiples, les impasses ou équivoques syntaxiques perçues en cours de formulation, et les ambiguïtés référentielles ou topicales. Ces phénomènes alourdissent les processus cognitifs, notamment mémoriels, nécessaires à la mise en œuvre des programmes syntagmatiques. L'abandon d'une construction peut être vu comme un renoncement face à l'ampleur de la tâche, ou comme un acte de coopération visant à faciliter la compréhension de l'allocutaire en évitant des formulations complexes ou ambiguës. L'analyse souligne le rôle crucial de la complexité cognitive dans les choix de reformulation.
2. Le changement de combinatoire de la micro syntaxe à la macro syntaxe
La compréhension des logiques qui président au choix d'une autre combinatoire syntagmatique lors de la reformulation est plus complexe. Une observation importante est mise en lumière : le changement de combinatoire se produit beaucoup plus souvent par abandon d'une construction micro-syntaxique pour une construction macro-syntaxique que l'inverse. Ce constat surprenant interroge sur les fonctionnalités respectives des deux types de combinatoire. Plusieurs raisons contribuent probablement à expliquer cette tendance. Les constructions macro-syntaxiques offrent souvent davantage d'indications sur la contribution informationnelle de leurs constituants, permettant un ajustement plus précis à l'état du savoir partagé et à la mémoire discursive. Ce changement vers la macro-syntaxe apparait donc comme un mécanisme d'ajustement et de clarification.
3. Impact des constructions macro syntaxiques sur la gestion de l information
Les constructions macro-syntaxiques, comparées aux constructions micro-syntaxiques, sont généralement plus spécifiées sémantiquement et pragmatiquement. Elles permettent une stratification plus fine de l'information, une gestion plus précise des présuppositions, et un meilleur ajustement au contexte informationnel. La reformulation en période macro-syntaxique améliore souvent l'ajustement à la mémoire discursive. Par exemple, dans le cas des questions fermées, la macro-syntaxe, par le phénomène de dislocation, permet de délimiter le champ des réponses attendues. L'utilisation de constructions macro-syntaxiques apparait ainsi comme une ressource permettant une accommodation continuelle de la formulation aux aléas environnementaux et aux difficultés internes de la mise en discours. Les constructions disloquées, en particulier les dislocations à gauche, peuvent aussi servir de technique de prise de parole.
4. Autres facteurs Gestion de la référence repérages énonciatifs etc.
Les opérations référentielles, l'évaluation de l'état des connaissances du partenaire, et le niveau de coopération dans la formulation des expressions référentielles peuvent engendrer des difficultés et conduire à des changements de combinatoire. Des énonciations complémentaires sont produites pour 'réparer' l'information partagée. L'introduction de la parole d'autrui, notamment sous forme de discours direct, complique la gestion des repérages énonciatifs et peut également entraîner des changements de combinatoire. L'étude aborde des exemples où des incidents conversationnels ou la perception rétrospective de problèmes référentiels ou d'incompréhension potentielle amènent à des reformulations impliquant un changement de combinatoire. L'adaptation constante à la mémoire discursive et aux interactions est centrale.
IV.Abandon de construction et supplétisme micro macro syntaxique
L'abandon d'une construction est souvent motivé par des difficultés de traitement cognitif, mais aussi par un souci de coopération avec l'allocutaire. Le supplétisme entre micro-syntaxe et macro-syntaxe apparaît comme une ressource adaptative permettant de gérer les aléas de la conversation et les contraintes de la mise en discours. L’étude conclut sur la complexité des processus de formulation et reformulation en parole spontanée, soulignant l'interdépendance des facteurs linguistiques, cognitifs et interactionnels.