Impact des incapacités cognitives d'une personne âgée sur sa relation personne-environnement à domicile

Incapacités cognitives et personne âgée

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Langue French
Format | PDF
Taille 3.64 MB

Résumé

I.Problématique et Objectifs de l Étude

Cette étude de cas explore l'impact des incapacités cognitives sur l'interaction personne-environnement chez une personne âgée à domicile. L'objectif principal est d'identifier comment les difficultés cognitives, notamment au niveau de l'attention, de la concentration, de la planification, et du processus de vérification, interfèrent avec la relation de la personne avec son environnement non-humain. L'étude utilise une observation filmée de l'activité «prendre un repas» pour collecter des données qualitatives. Le Modèle de compétence sert de cadre théorique pour analyser l'interaction entre la personne et son environnement.

1. Contexte et Justification de l Étude

L'étude s'inscrit dans un contexte de croissance constante du nombre de personnes atteintes de démence, soulignant le besoin croissant d'interventions efficaces en milieu domiciliaire. La littérature actuelle manque d'explications claires sur l'impact des troubles cognitifs sur la relation personne-environnement. Ce manque justifie la recherche d'une meilleure compréhension de cette interaction, notamment dans le cadre des soins à domicile. Le document vise à identifier les éléments constitutifs de cette interaction dans un contexte domestique. L'objectif est d'améliorer les interventions auprès des personnes atteintes de troubles cognitifs en approfondissant la connaissance de l'interaction entre la personne et son environnement physique. Les interventions par modifications environnementales gagnent en importance, mais la compréhension de leur impact réel sur les personnes atteintes reste à développer. L'étude s'appuie sur le Modèle de compétence comme approche théorique explicative de la relation personne-environnement, afin de guider l'analyse et l'interprétation des données.

2. Objectifs et Question de Recherche

L'objectif principal du mémoire est d'explorer l'impact des incapacités cognitives d'une personne âgée sur sa relation avec son environnement non-humain à domicile. Pour ce faire, l'étude se fixe deux buts spécifiques : 1) explorer le fonctionnement d'une personne atteinte de troubles cognitifs en interaction avec son environnement non-humain lors d'une activité; 2) identifier les situations de handicap qui émergent durant le déroulement de cette activité. La question de recherche centrale est la suivante : « Comment les incapacités cognitives interfèrent-elles dans la relation constante que la personne entretient avec son environnement non-humain ? » La méthodologie choisie est une étude de cas impliquant l'observation filmée d'une activité spécifique : « prendre un repas ». L'analyse de cette activité permettra d'identifier les difficultés fonctionnelles liées aux incapacités cognitives. Les résultats attendus permettront de mieux comprendre l'interaction personne-environnement chez les personnes souffrant de troubles cognitifs et d'orienter les interventions vers des approches plus efficaces. Ce mémoire sera constitué de deux articles : un premier article présentera une nouvelle méthode d'analyse qualitative, tandis que le second présentera l'étude de cas et répondra directement à la question de recherche.

II.Méthodologie d Analyse des Données

Face au manque de méthodes d'analyse adaptées aux données qualitatives non-verbales (vidéo), une nouvelle méthode d'analyse a été développée. Cette méthode inclut un outil de transcription visuel (schéma 3D) et une procédure de codage utilisant deux unités de sens: les opérations et les séquences. Trois observateurs (un neuropsychologue et deux ergothérapeutes) ont codé les données, permettant une triangulation des perspectives et un consensus inter-observateurs. Le codage intègre les concepts du Modèle de compétence, analysant l'interaction en fonction de la personne, de l'environnement (objets, architecture), de l'activité, et de la situation (handicap ou compétence).

1. Nécessité d une Nouvelle Méthode d Analyse

L'étude a rencontré une difficulté majeure : l'absence de méthodes d'analyse qualitative existantes pour traiter efficacement les données non-verbales recueillies par vidéo. Ces données, provenant de l'observation d'une personne effectuant des activités quotidiennes, présentaient une complexité nécessitant une approche analytique spécifique. Le caractère non-verbal des données, issues d'un enregistrement vidéo, a imposé le développement d'une méthode novatrice pour isoler et organiser les informations visuelles. La littérature scientifique s'avérant pauvre en outils d'analyse qualitative de ce type de données, la recherche a donc nécessité la création d'une méthode originale et adaptée au contexte de l'étude. Cette nouvelle méthode devait permettre une analyse approfondie de l'interaction personne-environnement en tenant compte des capacités cognitives de la personne observée. L'objectif était de documenter précisément les difficultés de la personne dans sa relation avec son environnement non-humain, en s'appuyant sur une méthodologie rigoureuse et reproductible. Cette nécessité a mené à la création d'un outil de transcription et d'une procédure de codage novatrice.

2. Développement d une Méthode d Analyse Novatrice

La méthode développée intègre un outil de transcription visuel, un schéma 3D, permettant de représenter graphiquement l'interaction personne-environnement. Ce schéma permet une transcription visuelle des données observables, facilitant l'identification des caractéristiques de l'activité. La procédure de codage utilise deux unités de sens : les opérations (actions) et les séquences (série d'opérations formant une tâche). Cette approche hiérarchique permet une analyse plus précise de la complexité de l'activité. Le codage lui-même utilise une méthode de codes multiples, intégrant au moins un code par concept du Modèle de compétence pour chaque unité de sens. Chaque code décrit l'environnement non-humain, la personne, l'activité et l'appréciation de l'interaction (situation de handicap ou de compétence). L'analyse impliquait trois observateurs : un neuropsychologue et deux ergothérapeutes. Cette triangulation des observations, combinée à un consensus inter-observateurs, renforce la validité et la fiabilité de l'analyse. Les différentes expertises cliniques des observateurs ont enrichi le processus de codage et la compréhension du phénomène étudié. Le schéma 3D facilite la représentation visuelle des opérations simultanées et des changements de tâches, améliorant ainsi la fidélité des données et la détection d'observations manquées.

3. Codage et Limites de la Méthode

Le codage des séquences prend en compte les capacités de la personne sur une période de temps, contrairement au codage des opérations isolées. L'utilisation du schéma 3D, guidée par le souci de représenter fidèlement la complexité du phénomène, a contribué à une meilleure structuration et accessibilité des données. La méthode permet d'analyser non seulement le contenu, mais aussi la structure de l'activité, en observant les relations entre les opérations et en considérant les capacités de la personne mises en jeu. L'enregistrement vidéo, bien qu'offrant une perspective en deux dimensions, a permis de recueillir des traces permanentes de l'évènement. Cependant, des limites techniques ont été prises en compte, notamment la perspective limitée de la caméra fixe et le risque de biais lié à la présence de l'observateur. La combinaison de l'enregistrement vidéo et de notes d'observation a permis de minimiser ces biais. La méthode d'analyse, originale et visualisant les données non-verbales, est applicable à d'autres contextes de recherche et offre une approche novatrice pour l'analyse qualitative.

III.Résultats de l Étude de Cas

L'analyse de l'activité «prendre un repas» révèle que les problèmes d'attention/concentration, d'organisation/planification, et de vérification interfèrent significativement avec l'interaction personne-environnement. Ces difficultés cognitives ont des conséquences fonctionnelles sur l'hygiène et la sécurité du participant. L'étude met en évidence l'importance de considérer l'impact des distracteurs et des problèmes d'anticipation sur la réalisation des tâches quotidiennes. L'analyse d'activité, combinée à l'observation vidéo, permet de détailler ces interactions et leurs conséquences.

1. L Activité Prendre un Repas Un Cas d Étude

L'étude de cas a porté sur l'observation filmée de l'activité « prendre un repas » chez un participant âgé de 76 ans, vivant à domicile avec son épouse. Ce participant présentait des incapacités cognitives suite à un accident vasculaire cérébral bilatéral survenu deux ans auparavant. Son score au 3MS était de 73/100. L'activité « prendre un repas » a été choisie pour sa capacité à mettre en évidence de nombreuses interactions avec l'environnement non-humain (réfrigérateur, four à micro-ondes, ustensiles, etc.). L'observation de cette activité quotidienne permettait d'étudier l'impact des troubles cognitifs sur l'interaction personne-environnement dans un contexte réaliste. La préparation du repas a été effectuée par l'aidante selon un menu convenu au préalable. L'étude s’intéressait spécifiquement à l'interaction avec l'environnement non-humain, mais la présence de l'observateur et l'implication indirecte de l'aidante ont été notées. L'analyse des données visait à identifier les situations de handicap et de compétence durant le déroulement de l’activité, en lien avec les concepts du modèle de compétence.

2. Analyse des Résultats et Identification des Difficultés

Les résultats, obtenus après codage des données par trois observateurs, ont mis en évidence des éléments clés de l'interaction personne-environnement. L'analyse a révélé des problèmes d'attention et de concentration, de planification et d'organisation, ainsi que des difficultés dans le processus de vérification. Ces problèmes cognitifs interféraient directement avec l'interaction du participant avec son environnement non-humain. Des conséquences fonctionnelles ont été observées, notamment en termes d'hygiène et de sécurité. L'analyse a permis d'identifier des situations de handicap liées à une sensibilité aux distracteurs, entraînant des changements de séquences inappropriés et une incapacité à atteindre les objectifs initiaux. Des problèmes d'anticipation et d'impulsivité ont également été observés. Les difficultés au niveau du « processus de vérification » comprenaient des corrections inefficaces, des vérifications risquées, et des décisions inadéquates. Malgré les difficultés, le participant a réussi à accomplir l'activité dans son ensemble, mais la complexification du déroulement de l'activité souligne la fragilité de son interaction avec son environnement.

3. Catégorisation de l Environnement et Conséquences Fonctionnelles

L'environnement a été catégorisé en trois types : « objet » (éléments mobiles), « architecture » (éléments fixes), et « humain » (interactions avec autrui, incluant l'observateur et l'aidante). Toutes ces catégories ont joué un rôle dans les situations de handicap identifiées. Les difficultés de planification et d'organisation, ainsi que les problèmes d'attention et de concentration, n'ont pas eu de conséquences majeures sur l'issue de l'activité « prendre un repas » dans ce cas précis. L'activité a été menée à terme, mais le déroulement a été complexifié par des interruptions et une organisation « objet par objet » des séquences. Cependant, l’étude souligne que, face à une diminution future de ses capacités, ces problèmes pourraient avoir un impact significatif sur la relation personne-environnement, affectant la réalisation des tâches et l'autonomie du participant. L'analyse démontre clairement la manière dont les troubles cognitifs affectent l'interaction avec l'environnement, même dans des situations où les objectifs globaux sont atteints.

IV.Discussion et Conclusion

Cette étude de cas souligne l'importance d'une approche interactionniste, basée sur le Modèle de compétence, pour comprendre et intervenir sur les difficultés des personnes atteintes de démence à domicile. L'utilisation de l'observation vidéo et de la nouvelle méthode d'analyse fournit un outil précieux pour analyser finement l'interaction personne-environnement. Les résultats suggèrent que des modifications environnementales ciblées pourraient améliorer le fonctionnement des personnes atteintes de troubles cognitifs, en tenant compte de leurs capacités restantes et des demandes de l'environnement. Les limites de l'étude, comme l'impact potentiel de la présence de la caméra, sont aussi discutées. L'étude recommande des recherches futures pour valider la méthode d'analyse et explorer les implications pour les interventions en ergothérapie et en gérontologie.

1. Interprétation des Résultats à la Lumière du Modèle de Compétence

L'observation de l'activité « prendre un repas » a démontré que les problèmes d'attention/concentration, d'organisation/planification et de processus de vérification chez le participant avaient des conséquences fonctionnelles sur son hygiène et sa sécurité. L'interprétation de ces résultats s'appuie sur le Modèle de compétence, qui intègre la personne, son environnement (physique et humain), et l'activité. L'analyse a permis d'identifier précisément comment les déficits cognitifs interféraient avec la relation constante entre la personne et son environnement non-humain. La discussion porte sur les différents types de problèmes identifiés : la sensibilité aux distracteurs affectant l'attention et la concentration, les difficultés de planification et d'organisation se manifestant par une approche « objet par objet » et des interruptions fréquentes, et les problèmes de vérification conduisant à des corrections inefficaces ou à des risques pour la sécurité. Le Modèle de compétence permet de contextualiser ces difficultés et d'envisager des interventions ciblées, que ce soit au niveau de la personne, de l'environnement ou de l'interaction entre les deux.

2. Impact de l Environnement Humain et Limites de l Étude

Malgré la focalisation sur l'environnement non-humain, l'étude a reconnu l'impact de la dimension humaine de l'environnement. La présence de l'observateur et du caméraman, même minimale, et la participation indirecte de l'aidante (préparation du repas et attentes) ont été considérées dans l'analyse. La présence de la caméra, reconnue comme potentiellement obstructive, a été une limite de l'étude, même si des précautions ont été prises pour minimiser son influence. L'étude souligne l'importance d'adapter la méthodologie à la réalité du contexte domiciliaire, mettant l'accent sur le caractère personnalisé de la recherche, et non sur une adaptation de la personne à un environnement standardisé. Ces éléments, bien que difficiles à contrôler, ont été intégrés au processus d'analyse pour assurer la validité des résultats. La technique vidéo, malgré ses limites, s'est avérée une méthode appropriée pour recueillir des traces permanentes de l'interaction personne-environnement.

3. Conclusion et Perspectives

L'étude de cas met en lumière l'importance de considérer l'interaction personne-environnement dans son ensemble pour mieux comprendre le fonctionnement des personnes atteintes de troubles cognitifs à domicile. La méthode d'analyse développée permet une description fine de cette interaction et une identification précise des difficultés rencontrées. L'observation vidéo s'est révélée un outil efficace pour collecter des données riches et détaillées sur les comportements non-verbaux. L’étude recommande une approche interactionniste, basée sur le Modèle de compétence, pour développer des interventions plus efficaces. Les résultats de cette étude de cas peuvent être enrichis par des études futures impliquant un nombre plus important de participants pour une meilleure généralisation des résultats et pour valider la méthode d'analyse dans différents contextes. L'approche méthodologique, notamment l'utilisation de l'enregistrement vidéo et le schéma 3D, est prometteuse pour la recherche en gérontologie et en ergothérapie dans le domaine du maintien à domicile.