
Prise alimentaire et nutrition gériatrique
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Langue | French |
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Résumé
I.La dénutrition chez les personnes âgées hospitalisées Prévalence et conséquences
Cette étude examine la dénutrition (PEM) chez les personnes âgées hospitalisées dans des services de soins de moyenne et de longue durée. Elle souligne la forte prévalence de la dénutrition dans ce contexte et ses conséquences négatives : augmentation de la durée d'hospitalisation, risque accru d'infections (pneumonie nosocomiale, escarres), détérioration de l'état fonctionnel et de la qualité de vie. Des marqueurs comme l'IMC, l'albuminémie et la pré-albumine sont utilisés pour diagnostiquer la dénutrition. Plusieurs outils d'évaluation nutritionnelle sont mentionnés, dont le MNA et le PEMI. Des études longitudinales montrent une détérioration de l'état nutritionnel durant l'hospitalisation, même avec des apports énergétiques et protéiques considérés comme adéquats.
1. Prévalence de la dénutrition en milieu hospitalier gériatrique
La dénutrition protéino-énergétique (DPE) est fréquente dans les contextes hospitaliers gériatriques, particulièrement dans les établissements offrant des séjours de moyenne et de longue durée. La durée prolongée de ces séjours permet à l'état nutritionnel d'évoluer entre l'admission et la sortie. Des études longitudinales, dont celles de Pinchcofsky et Kaminski (1985), Silver (1988), Thomas (1991), Potter (1995), Paillaud (2001) et Splett (2003), rapportent une détérioration de l'état nutritionnel au cours de l'hospitalisation. Cette détérioration survient même si les apports énergétiques et protéiques sont considérés comme adéquats, comme le montrent les études de Paillaud (2001) et Thomas (1991). Une étude de Kondrup (1998) a observé un gain pondéral chez des patients dénutris avec un régime adapté, suggérant la possibilité d'interventions efficaces. Cependant, la supplémentation énergétique et protéique n'est pas toujours efficace, notamment chez les patients atteints de cachexie associée à un cancer avancé (Fearon, 2001). La nature même de la DPE peut influencer l'efficacité des interventions nutritionnelles (Thomas, 2002a).
2. Conséquences de la dénutrition sur la santé et le fonctionnement des patients
La dénutrition est associée à plusieurs conséquences néfastes pour les patients âgés hospitalisés. Elle augmente le risque d'infections, notamment la pneumonie nosocomiale (Rothan Tondeur, 2003), et favorise l'apparition d'escarres, comme le démontre l'étude de Pinchcofsky et Kaminski (1986) où la sévérité des escarres était corrélée à la sévérité de la dénutrition (r=0.96). Potter et al. (1995) ont observé un taux d'infection significativement plus élevé chez les patients dénutris (73%) comparé aux patients non dénutris (39%). De plus, la dénutrition prolonge la durée d'hospitalisation, comme le montrent plusieurs études : Thomas et al. (2002b) rapportent un allongement de 50% (11 jours), Pichard (2004) un allongement de 100% et Newman (2005) un allongement de 5 jours en moyenne chez les patients dénutris. Enfin, la dénutrition affecte négativement la fonction physique (force de préhension, activités de la vie quotidienne - ADL selon Katz, 1970) et la qualité de vie, comme le montrent les études de Zuliani (2001) et Ponzer (1999). Un déclin de la masse maigre multiplie par 5 le risque de détérioration fonctionnelle (Zuliani, 2001).
3. Impact de la dénutrition sur la perméabilité intestinale et l immunité
La dénutrition impacte négativement l'immunité à médiation cellulaire et augmente la perméabilité de la membrane intestinale, augmentant ainsi le risque d'infection chez les personnes âgées. Une étude de Reynolds (1996) a détecté la présence d'antigènes dans l'intestin de sujets dénutris, antigènes normalement absents chez les individus non dénutris. Welsh (1998) a démontré une corrélation entre la dénutrition et une perméabilité intestinale accrue, mesurée par le ratio lactulose:mannitol. Chez 52 patients hospitalisés âgés de 60 à 79 ans, un ratio L:M plus élevé a été observé chez les patients dénutris (0.056-0.068) qu'au sein du groupe témoin (0.012), significatif statistiquement (p=0.009). Ces résultats mettent en lumière le lien entre la dénutrition, l'immunodéficience, la perméabilité intestinale et le risque infectieux élevé chez les personnes âgées hospitalisées.
II.Diagnostic de la dénutrition protéino énergétique DPE
Le diagnostic de la DPE repose sur des paramètres anthropometriques (poids, IMC, plis cutanés) et biochimiques (albumine, pré-albumine, transferrine, RBP). La difficulté réside dans la distinction entre la dénutrition pathologique et les changements physiologiques liés au vieillissement. L'étude mentionne des seuils de valeurs pour différents marqueurs et discute des limitations de certaines mesures en raison du vieillissement et de comorbidités (ex: cachexie). Des indices combinant plusieurs paramètres, améliorent la précision du diagnostic.
1. Paramètres anthropométriques et biochimiques pour le diagnostic de la DPE
Le diagnostic de la dénutrition protéino-énergétique (DPE) est crucial pour la prise en charge nutritionnelle. Il s'appuie sur des paramètres anthropométriques et biochimiques. Les marqueurs anthropométriques incluent le pourcentage du poids santé ou habituel, l'indice de masse corporelle (IMC), la variation pondérale, les plis cutanés et les circonférences des membres. Ces mesures sont simples et peu coûteuses. Le diagnostic intègre également des paramètres biochimiques, tels que les taux sériques d'albumine, de pré-albumine, de la protéine qui lie le rétinol (RBP) et de la transferrine. Ces marqueurs reflètent le statut protéique. Leclerc (1988) a validé plusieurs de ces paramètres. Cependant, l’interprétation doit être prudente car les paramètres anthropométriques peuvent être affectés par le vieillissement (changements de la colonne vertébrale affectant la taille, modification de l'élasticité et de la compressibilité de la peau, involution de la masse grasse sous-cutanée) et certaines maladies chroniques comme le cancer (cachexie) peuvent influencer les mesures. Malgré ces limites, ces marqueurs restent valides, fiables et reproductibles (Mendoza, 1995).
2. Difficultés diagnostiques et critères de seuil
Le diagnostic de DPE est souvent difficile car les symptômes (perte d'appétit, consommation insuffisante, apathie, perte de poids, fatigue musculaire - Kergoat, 1995; Seiler, 2001) sont non spécifiques. Au début, la réduction de la prise alimentaire peut être confondue avec l'anorexie du vieillissement (Morley, 1997; Drewnowski, 2001), et la perte de poids avec les changements physiologiques de la composition corporelle liés à l'âge (Chumlea, 1995; Shatenstein, 2001). Des études (Reynolds et al., 1999; Flodin et al., 2000; Allard et al., 2004) suggèrent des seuils différents d'IMC selon le contexte (domicile vs. hôpital) et proposent des valeurs seuils pour un meilleur pronostic. Des indices combinant plusieurs paramètres (albuminémie et décompte lymphocytaire - Scuteri, 1992; CMB et PCT - Campillo, 2004) permettent d'améliorer la précision du diagnostic, atteignant même 100% de sensibilité et 93.8% de spécificité dans une étude (Campillo, 2004). Cependant, des indices comme le MNA présentent des limites de spécificité en milieu hospitalier (Christensson et al., 2002; Donini, 2002; Azad, 1999).
3. Marqueurs biochimiques albumine pré albumine RBP transferrine et CRP
L'albumine et la pré-albumine sont les marqueurs biochimiques les plus utilisés pour évaluer le statut protéique. Cependant, la RBP (protéine qui lie le rétinol) et la transferrine, ayant des demi-vies plus courtes que l'albumine, sont aussi étudiées. La RBP est sensible aux variations des apports protéiques (Woo, 1988) et corrélée à la masse maigre (Sergi, 2006). La CRP (protéine C-réactive), bien que non spécifique à la dénutrition, peut être un indicateur indirect de dénutrition, notamment dans le contexte inflammatoire souvent présent chez les personnes âgées hospitalisées (Omran et Morley, 2000). La CRP est un composant de l'« Inflammatory and Nutritional Index » (Finucane, 1988). Des taux de CRP plus élevés sont observés en milieu gériatrique hospitalier (Pertoldi, 2000; Thomas, 2001; Henry, 1999) comparés à la population générale (Hutchinson, 2000; Du Clos, 2000), suggérant une prévalence élevée d'inflammation contribuant à la dénutrition. Un seuil de 20 mg/L est proposé pour indiquer un état inflammatoire (Bruhat et al., 2000; Perrier et al., 2004).
III.L appétit et la prise alimentaire Facteurs influençant l état nutritionnel
L'appétit joue un rôle crucial dans la prise alimentaire des personnes âgées hospitalisées. Des facteurs périphériques (taux de CCK) et centraux (système opioïde) influencés par l'âge sont impliqués dans la régulation de l'appétit. Des facteurs émotionnels (dépression, tristesse, anxiété), l'environnement du repas (horaire, interactions sociales, palatabilité des aliments, assistance à l'alimentation), et la satisfaction des patients influencent aussi significativement la prise alimentaire. Des études montrent une association entre un mauvais appétit, une faible prise alimentaire, et une dénutrition plus sévère. L’étude mentionne l'utilisation de la théorie ancrée pour comprendre la motivation à manger.
1. L appétit comme facteur motivationnel de la prise alimentaire
En milieu hospitalier gériatrique, même si l'approvisionnement et la préparation des repas sont contrôlés, l'appétit reste un facteur déterminant de la consommation alimentaire. Une étude de Wickby et Fagerskiold (2004), basée sur la théorie ancrée, montre que manger est motivé par le désir de se nourrir, l'appétit jouant un rôle majeur. Une enquête danoise auprès du personnel soignant (Kondrup, 2002) dans 4 hôpitaux révèle que le «faible appétit» est la raison la plus fréquente pour expliquer les apports insuffisants des patients. L'appétit est donc un facteur clé à considérer. De plus, l'appétit influence non seulement l'état nutritionnel et la santé, mais aussi la qualité de vie (Wickby et Fagerskiold, 2004; Tickson et Frost, 2004). Une amélioration de l'appétit grâce à un traitement au mégestrol, par exemple (Yeh et al., 2000), est corrélée à une amélioration de la qualité de vie (augmentation du plaisir de vivre, du sentiment de bien-être et diminution de la dépression). La perte d'appétit est une cause importante d'apports insuffisants chez les personnes âgées malades.
2. Régulation de l appétit aspects périphériques et centraux
La régulation de l'appétit est influencée par des facteurs périphériques et centraux. Le rôle de la cholécystokinine (CCK) est bien documenté : elle diminue la motilité gastrique et duodénale, contribuant à la sensation de satiété. Des taux plasmatiques de CCK plus élevés et une plus grande sensibilité à la CCK chez les personnes âgées par rapport aux jeunes adultes (Macintosh, 1999) pourraient expliquer le rassasiement précoce. Le vieillissement affecte aussi la régulation centrale de l'appétit, notamment le système opioïde (Cupples, 2005; Morley, 1988). Chez l'animal, les rats et souris âgés sont moins sensibles à l'effet inhibiteur du naloxone (antagoniste opioïde) sur la prise alimentaire (Gosnell, 1983; Kavaliers, 1985), ce qui pourrait être dû à une diminution de la sécrétion de peptides opioïdes ou de leurs récepteurs (Missale, 1983; Messing, 1981). Chez l’humain, l’effet du naloxone semble modulé par le sexe (Macintosh, 2001c).
3. Influence des facteurs émotionnels environnementaux et sociaux sur l appétit et la prise alimentaire
Outre les facteurs physiologiques, l'état émotionnel influe sur l'appétit. Des émotions comme la joie, la colère, la tristesse et la peur sont associées à la motivation à manger (Macht, 1999). Le chagrin et la tristesse sont fortement liés à l'appétit (Rosenbloom, 1993). L'environnement du repas joue également un rôle : un horaire de repas différent des habitudes à domicile (Incalzi et al., 1996a) ou un manque de flexibilité quant à la durée du repas (Kayser-Jones et Schell, 1999) peuvent réduire l'appétit. La palatabilité des aliments est essentielle ; la modification de la texture des aliments pour faciliter l'ingestion entraîne une baisse de la palatabilité et des apports énergétiques (Wright, 2005). À l’inverse, l'amélioration de la palatabilité augmente la consommation (Schiffman et Warwick, 1993; Mathew, 2001). Les interactions sociales influencent positivement la prise alimentaire; manger en groupe est associé à des apports énergétiques plus élevés (Edwardse et Hatwell, 2004). Enfin, la satisfaction des patients liée à la qualité des repas et du service influence la prise alimentaire, mais la réticence à exprimer l'insatisfaction (Evans et Crogan, 2005; Sidenvall, 1999; Riccio, 2005) complique l'évaluation de ce facteur.
IV.Rôle des différents repas déjeuner dîner souper sur l évolution de l état nutritionnel
Une étude réalisée dans une unité gériatrique de réadaptation (nombre de patients non spécifié) vise à évaluer le rôle respectif du déjeuner, du dîner et du souper sur les changements de l'état nutritionnel. L’état nutritionnel à l’admission influence ces relations; la prise alimentaire prédit une amélioration de l'état nutritionnel chez les patients dénutris, mais pas chez les non-dénutris. Des analyses statistiques (ANOVA, régression linéaire) ont été utilisées pour analyser les données. L'étude souligne l'importance de la méthode utilisée pour évaluer la prise alimentaire (estimation des restes, formation des assistants de recherche).
1. Objectif de l étude et méthodologie
L'objectif principal de l'étude était d'évaluer le rôle respectif du déjeuner, du dîner et du souper sur les changements de l'état nutritionnel de patients gériatriques hospitalisés, en tenant compte de leur état nutritionnel à l'admission. La recherche a été menée dans une unité gériatrique de soins de réadaptation. Les participants, âgés de 65 ans et plus, ne devaient présenter ni démence ni dépression. Des critères d'exclusion étaient définis pour exclure les conditions cachectiques (maladie pulmonaire obstructive chronique sévère, arthrite rhumatoïde, insuffisance cardiaque sévère, troubles hépatiques ou rénaux sévères, néoplasie avancée, syndrome de malabsorption) afin de contrôler l'hypermétabolisme et les situations réfractaires aux interventions nutritionnelles. L'état nutritionnel a été évalué à l'aide du Protein-Energy Malnutrition Index (PEMI, Thomas, 1991), adapté pour cette étude avec un seuil de 3 points. La prise alimentaire a été mesurée en évaluant les restes des repas, une méthode dont la validité a été assurée par une formation des assistantes de recherche. Des analyses statistiques (test t de Student, ANOVA, régression linéaire) ont été utilisées pour analyser les données.
2. Résultats de l étude sur l impact des repas
L'étude a montré que la prise alimentaire à tous les repas (déjeuner, dîner, souper) contribue à l'amélioration de l'état nutritionnel chez les personnes âgées hospitalisées en soins subaigus. Cependant, l'état nutritionnel à l'admission influence ces relations : la prise alimentaire prédit une amélioration chez les patients dénutris à l'admission, mais pas chez les patients non dénutris. La consommation alimentaire quotidienne moyenne était cohérente avec les données publiées sur cette population. Ces résultats sont compatibles avec ceux de Campillo et al. (41), qui ont observé une association positive entre la prise alimentaire et l'amélioration des paramètres anthropométriques chez des sujets âgés dénutris ayant subi une fracture de la hanche, mais pas chez les sujets non dénutris. L'analyse statistique comprenait l’ANOVA à un facteur avec comparaisons multiples post-hoc selon Scheffé pour comparer les apports aux trois repas, et des corrélations de Pearson pour étudier les liens entre la prise alimentaire et les changements de l'état nutritionnel. Des régressions linéaires multiples ont servi à déterminer l'importance relative de chaque repas dans la prédiction de ces changements.
3. Discussion des résultats et implications
L’étude démontre que dans un échantillon de personnes âgées hospitalisées en soins subaigus, la prise alimentaire à tous les repas contribue à l'amélioration de leur état nutritionnel. Il est important de noter que l'état nutritionnel à l'admission module cette relation, l'apport alimentaire prédisant une amélioration uniquement chez les personnes dénutries à l'arrivée. La consommation alimentaire journalière observée est cohérente avec les données existantes sur cette population. Ces résultats renforcent l'importance d'une prise alimentaire adéquate à tous les repas pour améliorer l'état nutritionnel des personnes âgées hospitalisées. Cependant, il est crucial de tenir compte de l'état nutritionnel initial lors de la mise en place d'interventions nutritionnelles. Les méthodes d'évaluation de la prise alimentaire, fondées sur l’estimation des restes de repas, requièrent une attention particulière quant à leur précision et leur fiabilité.