
Évolution du méthane et du protoxyde d'azote dans l'atmosphère
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Langue | French |
Format | |
Taille | 8.25 MB |
- Glaciologie
- Isotopes stables
- Changements climatiques
Résumé
I.Analyse isotopique du méthane CH4 et du monoxyde de carbone CO dans l air piégé du névé polaire
Cette thèse étudie l'évolution passée de la composition isotopique du méthane (CH4) et du monoxyde de carbone (CO) dans l'atmosphère en analysant l'air piégé dans le névé de sites arctiques et antarctiques. L'objectif principal est de reconstruire l'histoire des émissions anthropiques de ces gaz à effet de serre et d'évaluer leur impact sur le climat. Des mesures de δ13CH4 et δ18O sont réalisées par spectrométrie de masse, couplées à un modèle de transport diffusif pour retracer l'évolution atmosphérique depuis 1950. L'étude s'inscrit dans le cadre du projet européen CRYOSTAT, visant à reconstruire l'histoire des gaz à effet de serre et des substances appauvrissant la couche d'ozone sur les deux derniers siècles. Des sites clés comme le dôme C en Antarctique et NGRIP au Groenland sont étudiés, en collaboration avec des instituts tels que le LGGE (Grenoble), le Max Planck Institut (Mayence), et l'Université de Berne.
II.Sources et puits de CH4 interprétation des données isotopiques
L'analyse des données isotopiques permet de distinguer les différentes sources de CH4 (zones humides, combustion de biomasse, combustibles fossiles) et d'évaluer l'évolution de son principal puits atmosphérique, les radicaux OH. Les résultats révèlent une augmentation du δ13CH4 dans l'hémisphère sud (+0.03‰/an) et l'hémisphère nord (+0.007‰/an) depuis 1950. La variabilité saisonnière et les incertitudes liées à la modélisation du transport dans le névé sont discutées, soulignant la complexité de l'interprétation des données. Des collaborations avec des chercheurs comme T. Sowers (Penn State University) ont permis de comparer les méthodes analytiques et les résultats obtenus.
1. Evolution des sources de méthane
Bien que l'évolution qualitative des sources de méthane soit relativement bien documentée, l'évolution temporelle de ces sources reste incertaine. Le texte souligne la difficulté d'évaluer précisément les sources de CH4, les études existantes présentant des résultats et des interprétations divergents. Plusieurs sources anthropiques sont citées : les ruminants, les rizières, les décharges, les fuites de gaz naturel et la combustion de biomasse. Les plus importantes sources naturelles sont les zones humides, suivies des feux naturels, des termites et des émissions océaniques, y compris la déstabilisation des clathrates. La composition isotopique du CH4 émis par les feux de biomasse dépend de deux facteurs : le type de plante (C3 ou C4) et le type de combustion (combustion vive ou lente). Les plantes C3 ont un δ13C autour de -25‰, tandis que les plantes C4 ont un δ13C entre -10 et -15‰. La combustion vive produit un δ13C plus lourd que la combustion lente. L'oxydation du méthane, source la plus appauvrie (environ -50‰), est clairement distinguée de la combustion de biomasse et de combustibles fossiles (environ -25‰). L'étude de Craig et al. (1988) sur la glace du Groenland montre une augmentation du δ13CH4 de ~2‰ sur les deux derniers siècles, mais ne prend pas en compte plusieurs facteurs importants tels que le décalage d'âge entre la glace et le gaz, le fractionnement gravitationnel et l'impact de la diffusion sur le δ13CH4 de l'air du névé.
2. Le rôle du puits atmosphérique les radicaux OH
Le texte aborde le rôle crucial des radicaux OH comme principal puits atmosphérique du méthane. L'évolution temporelle de la capacité oxydante de l’atmosphère, liée à la concentration des radicaux OH, est débattue. Plusieurs études sont citées, avec des conclusions divergentes quant à l’évolution de la concentration des radicaux OH. Crutzen and Zimmermann (1991) suggèrent une diminution globale de 20% des radicaux OH, mais distinguent une baisse dans les régions sud de 20°N et une augmentation dans les régions plus au nord due aux activités anthropiques. Des études ultérieures (Thompson, 1992; Bernsten et al., 1997; Marik, 1998; Bräunlich et al., 2001; Wang and Jacob, 1998; Lelieveld et al., 2002) présentent des résultats variables, allant d'une diminution de près de 20% à une augmentation de 6%, ou encore à un niveau global constant. Ces variations mettent en évidence les difficultés d’évaluation précise des puits de CH4 et la complexité des interactions entre les différents facteurs influençant la capacité oxydante de l’atmosphère. Des études basées sur le méthyle chloroforme (MCF) sont mentionnées, soulignant les problèmes d’incertitudes sur les émissions de MCF et sur les modèles de transport, impactant l'estimation de la variabilité des radicaux OH, surtout à court terme. Une autre approche utilise le temps de vie du méthane comme mesure des changements des radicaux OH (Dentener et al., 2003).
3. Effets isotopiques et fractionnement isotopique
Le fractionnement isotopique, c'est-à-dire les variations de la composition isotopique des composés, est un phénomène clé discuté dans le texte. Les différences de propriétés physico-chimiques entre les composés isotopiques sont principalement dues aux différences de masse de leurs noyaux. Ceci influence les niveaux d'énergie vibrationnelle, la vitesse moyenne, les fréquences de collision et les points d'énergie zéro. Les isotopes plus lourds ont des liaisons plus fortes. L'étude aborde l'effet isotopique cinétique (KIE) lié à l'oxydation du CH4 par les radicaux OH. Des travaux de laboratoires montrent des variations des KIE selon les méthodes utilisées pour produire des radicaux OH, et ces petites différences peuvent entraîner des variations significatives des valeurs de δ13CH4 et δCH3D. Le fractionnement isotopique entre 12CH4 et 13CH4 est faible (environ 5‰), tandis qu'il est extrêmement important entre CH4 et CH3D (environ 300‰). Le fractionnement gravitationnel et le fractionnement diffusionnel sont également mentionnés comme des facteurs influençant l'interprétation des données de δ13CH4 dans le névé, en particulier depuis l'augmentation exponentielle de la concentration en CH4 à partir de 1750 AD. L'étude des fractionnements isotopiques permet de mieux comprendre les processus physiques et chimiques qui gouvernent le cycle du méthane dans l'atmosphère.
III.Méthodes d extraction et d analyse de l air piégé dans la glace
L'extraction de l'air interstitiel du névé est réalisée via deux méthodes principales : l'extraction sèche (broyage) et l'extraction humide (fusion-regel). La précision de la mesure des rapports isotopiques est cruciale et dépend de la méthode employée et de la qualité des instruments. L'étude détaille les procédures d'extraction, de pré-concentration et d'analyse par chromatographie en phase gazeuse et spectrométrie de masse. L'impact de la méthode d'extraction sur la composition isotopique est évalué par des tests sur de la glace sans bulle. Des figures illustrent le matériel utilisé, notamment les carottiers et les systèmes de pompage utilisés sur les sites étudiés (e.g., carottier danois à NGRIP).
IV.Résultats et modélisation des données isotopiques du CH4
Les profils de δ13CH4 obtenus à partir de différents sites (NGRIP, Dôme C, Berkner Island) sont comparés à des simulations effectuées avec le modèle de transport diffusif. L'impact des variations saisonnières et de la diffusion thermique sur la forme des profils est analysé. Les résultats suggèrent que l'évolution de la composition isotopique du CH4 est plus marquée dans l'hémisphère nord. Les incertitudes liées à la paramétrisation du modèle et les implications pour l'estimation des tendances à long terme sont discutées. Les collaborations avec des instituts comme le Danish Polar Center (carottier) et le Max Planck Institut (analyse par spectrométrie de masse) sont soulignées.
1. Présentation des données et sites d étude
Cette section présente les résultats de l'analyse isotopique du méthane (δ13CH4) obtenus à partir d'échantillons de névé prélevés sur deux sites : un site arctique (North GRIP au Groenland) et un site antarctique (non spécifié précisément mais implicitement lié aux études de Law Dome, Dôme C et Queen Maud Land). À partir des profils de δ13CH4 mesurés dans le névé, et en utilisant un modèle de transport diffusif, l'évolution du δ13CH4 atmosphérique a été reconstituée depuis 1950. L'étude révèle une augmentation du δ13CH4 de +0.03‰/an dans l'hémisphère sud et de +0.007‰/an dans l'hémisphère nord sur cette période. Ces résultats sont cohérents avec des études antérieures menées à Cape Grim et Law Dome, qui montrent une progression similaire du δ13CH4. La comparaison des résultats de mesures de δ13CH4 effectuées à NGRIP avec celles de Dôme C et Queen Maud Land permet de mettre en évidence une différence dans la durée de la période temporelle couverte par les signaux mesurés. Des échantillons prélevés au Pôle Sud en 1995 et 2001 permettent d'étudier l'évolution des profils sur une période de 6 ans, et des analyses effectuées dans deux laboratoires différents (PSU et LGGE) permettent de comparer les méthodes.
2. Modélisation et interprétation des profils de δ13CH4
L'interprétation des données de δ13CH4 repose sur l'utilisation d'un modèle de transport diffusif des gaz à travers le névé. Ce modèle, appliqué de manière récursive aux profils de concentration obtenus, permet de reconstruire l'évolution passée du δ13CH4 atmosphérique. Le texte souligne la complexité de la modélisation, en particulier au niveau de la détermination du profil de diffusivité effective. La modélisation prend en compte différents facteurs, notamment la structure du névé, la masse molaire des gaz, la température du névé et le taux d'accumulation de neige. Différents scénarios de modélisation sont explorés, en particulier l'impact d'un signal saisonnier sur la forme des profils. L'étude compare des profils modélisés en imposant uniquement la composition isotopique en 2001 (correspondant à la surface) avec des profils intégrant un signal saisonnier. L'influence de la diffusion thermique est également envisagée, mais un facteur de sensibilité thermique théorique est manquant. Des écarts entre les données mesurées et les données modélisées sont observés, particulièrement en profondeur, et sont discutés en fonction des incertitudes liées à la paramétrisation du modèle et la structure du névé. L'analyse de ces écarts permet d'évaluer la fiabilité des scénarios atmosphériques reconstitués.
3. Conclusion et incertitudes
En comparant les résultats obtenus sur les sites de NGRIP et de Berkner Island, l'étude conclut que l'évolution de la composition isotopique du CH4 dans l'atmosphère semble plus importante dans l'hémisphère nord. Malgré les écarts entre les modèles et les mesures, l'évolution la plus fiable semble être obtenue à NGRIP en utilisant une équation exponentielle et des données atmosphériques pour contraindre le modèle. Cependant, le texte met fortement l'accent sur les incertitudes liées à la paramétrisation du modèle de transport diffusif, soulignant des incertitudes non négligeables sur les scénarios générés. Les différentes sources d'incertitude, incluant la paramétrisation des processus physiques de mélange et de piégeage de l'air dans le névé, sont mentionnées. L'interprétation des données est donc prudente et les tendances déduites doivent être considérées avec précaution. L'étude souligne la nécessité d'une meilleure compréhension de certains paramètres pour améliorer la précision des reconstructions passées de la composition isotopique du méthane.
V.Analyse isotopique du CO et comparaison des méthodes
L'étude étend l'analyse aux données isotopiques du monoxyde de carbone (CO) dans le névé polaire. Les méthodes d'extraction et d'analyse du CO sont décrites, y compris l'oxydation du CO en CO2 et l'élimination de l'eau. La précision des mesures de δ13C et δ18O du CO est discutée, ainsi que les comparaisons entre les résultats obtenus par la technique de spectrométrie de masse en flux continu et la méthode classique « dual-inlet ». Des figures illustrent la précision analytique obtenue.
1. Méthodes d analyse isotopique du CO
L'analyse isotopique du monoxyde de carbone (CO) représente une partie importante de cette étude. Contrairement à l'analyse du méthane, l'analyse isotopique du CO dans le névé polaire n'avait pas été publiée auparavant avec la méthode employée. La méthode utilisée pour l'analyse isotopique du CO repose sur une oxydation préalable du CO en CO2. Cette étape est nécessaire pour la détection par spectrométrie de masse. L'oxydation est réalisée avec le réactif de Schütze (gel de silice imprégné de I2O5), en conservant la signature isotopique originale sur l'un des atomes d'oxygène du CO2 formé. Une étape cruciale est l'élimination de l'eau issue de l'oxydation ou présente dans l'échantillon. Ceci est accompli à l'aide d'une membrane perméatrice Nafion, indispensable car l'eau peut réagir avec le CO2 pour former l'ion HCO2+, interférant avec la mesure de 13CO2. La pré-concentration du CO est décrite : l'air est introduit dans la ligne sous vide, puis le CO2, H2O, N2O et autres espèces condensables sont piégés par des serpentins dans l'azote liquide, tandis que le CO est oxydé et piégé séparément. La précision analytique sur la mesure du δ13C est de l'ordre de 0.2‰ et celle du δ18O est plus élevée, mais les incertitudes sont discutées. Une comparaison avec les résultats d'analyses réalisées par spectrométrie de masse « dual-inlet » au Max Planck Institut de Mayence est présentée.
2. Comparaison des techniques de spectrométrie de masse
La comparaison des résultats obtenus par spectrométrie de masse en flux continu avec ceux obtenus par la technique classique « dual-inlet » au Max Planck Institut est essentielle. La spectrométrie de masse en flux continu est la méthode principale utilisée dans cette thèse pour l'analyse isotopique du CO, permettant une analyse plus rapide et automatisée. Cependant, l’étude souligne que cette méthode est nouvelle pour l'analyse du CO dans le névé polaire. La spectrométrie de masse « dual-inlet », quant à elle, est une technique plus classique, réputée pour sa grande précision. La comparaison des données obtenues par les deux méthodes révèle des différences significatives dans les valeurs du δ13C et du δ18O. Ces différences sont expliquées par l'évolution du gaz au cours du temps de stockage dans les bouteilles à faible pression (3 bars pendant 5 ans). Le rapport 18O/16O, bien que plus homogène, reste difficilement interprétable en raison de l'incertitude des mesures. Le texte discute de l'interprétation des résultats en fonction de la méthode analytique utilisée, soulignant la nécessité de prendre en compte ces différences lors de l'interprétation des résultats et la pertinence du choix de la méthode analytique pour les applications futures. La précision des mesures est un aspect clé de cette comparaison.
3. Interprétation des résultats isotopiques du CO
L'interprétation des données isotopiques du CO est complexe et dépend de plusieurs facteurs. La signature isotopique du CO permet de distinguer les différentes sources : l'oxydation du méthane (-50‰) se distingue nettement de la combustion de biomasse, de combustibles fossiles, ou d'hydrocarbures non-méthaniques (-25‰). Dans le cas de la combustion de biomasse, la signature isotopique dépend du type de plantes (C3 ou C4) et du type de combustion (combustion vive ou lente, « flaming » ou « smoldering »). Le texte explique que l'oxydation du CH4 par les radicaux OH est une source importante de CO, mais qu'elle ne suffit pas à expliquer le fractionnement observé. La réaction CH4 + Cl, bien que contribuant peu à l'oxydation du CH4, semble avoir un effet important sur le δ13CO. La vitesse de réaction de CH4 + Cl est beaucoup plus rapide que celle du CH4 + OH, et son KIE (1.066 ou 66‰) est extrêmement élevé. L'analyse des variations saisonnières du δ13C du CO montre que les effets des sources et des puits ne sont pas en phase. L'effet le plus significatif des sources provient de l'oxydation du CH4, conduisant au δ13C le plus léger en été. Le KIE lié au puits (pression supérieure à 400 mbars) implique une augmentation du 13C au printemps et en été.