
Mobilité des Métaux dans les Systèmes Sol-Plante-Biochar
Informations sur le document
Auteur | Frédéric Rees |
École | Université de Lorraine |
Spécialité | Sciences agronomiques |
Type de document | Thèse |
Langue | French |
Format | |
Taille | 17.31 MB |
- mobilité des métaux
- biochar
- systèmes sol-plante
Résumé
I.Contexte et Objectifs de la Recherche sur le Biochar
Cette thèse, menée dans le cadre du projet LORVER (www.lorver.org), explore l'utilisation du biochar comme solution de remédiation des sols contaminés par des métaux lourds. L'objectif principal est d'évaluer l'impact du biochar sur la mobilité des métaux (Cd, Pb, Cu, Zn, Ni) et leur absorption par les plantes, en vue de développer une filière de production de biomasse végétale sur des sites industriels délaissés. Le projet LORVER vise la requalification durable de ces friches, en articulant une chaîne de services écosystémiques autour de la production végétale à usage industriel (énergie, fibres, phytoextraction).
1. Contexte de la recherche sur la remédiation des sols contaminés
La recherche s'inscrit dans un contexte préoccupant de contamination des sols par les métaux, une menace pour la santé humaine et les écosystèmes. Les méthodes de remédiation classiques, comme l'excavation et le stockage des terres contaminées, présentent des impacts économiques et environnementaux importants, notamment en raison de la consommation de ressources non renouvelables (terres agricoles). Face à ces défis, les techniques de remédiation in situ sont de plus en plus privilégiées, car elles préservent les propriétés du sol et les services écosystémiques qu'il fournit, comme la production de biomasse végétale, la régulation hydrique, la biodiversité et le stockage du carbone. La recherche se concentre sur la phytoremédiation comme une solution alternative à l'excavation, visant à valoriser les services écosystémiques des territoires contaminés.
2. Présentation du projet LORVER et son approche intégrée
Le projet LORVER (www.lorver.org) constitue le cadre de cette recherche. Il expérimente la création d'une filière de production de biomasse végétale à usage industriel à partir de sites et matériaux délaissés (friches industrielles). L'objectif est la requalification durable de ces friches via une chaîne de services écosystémiques, centrée sur la production végétale. Trois voies de valorisation sont explorées : i) valorisation de biomasses ligneuses (ex: peuplier) par pyrolyse pour produire de l'énergie et du biochar, ii) production de fibres végétales pour la fabrication de matériaux, et iii) récupération de métaux par phytoextraction. Le biochar joue un rôle clé dans cette stratégie, sa production étant envisagée à partir des biomasses cultivées sur les sols délaissés, sans compétition avec la production alimentaire. L'application du biochar vise à augmenter les services écosystémiques, notamment la production de biomasse végétale et la régulation de la mobilité des polluants. La biomasse produite doit être soit exempte de polluants pour sa valorisation, soit riche en métaux stratégiques pour une valorisation minière.
3. Choix méthodologique et justification des sols étudiés
Le choix des sols étudiés (sols A, B et C) a été crucial pour l’étude. Des sols aux propriétés « moyennes » ont été privilégiés pour éviter une surestimation ou une sous-estimation des effets du biochar. Une texture majoritairement sableuse aurait pu surestimer les effets du biochar sur le développement des plantes et la migration des métaux, en raison de son impact sur les propriétés hydriques. À l'inverse, une texture argileuse aurait pu sous-estimer ces effets en limitant les flux hydriques et la disponibilité des métaux. L'équilibre entre sable et argile dans les sols sélectionnés permet une évaluation plus réaliste de l'impact du biochar sur la mobilité des métaux et le développement des plantes dans des conditions de sol plus réalistes. Cette approche méthodologique vise à garantir la robustesse et la généralisabilité des résultats obtenus dans cette recherche.
II.Caractérisation du Biochar et des Sols
La recherche a caractérisé différents biochars, principalement issus de bois (feuillus et résineux), en déterminant leurs propriétés physico-chimiques (pH, teneur en matière organique, phases minérales, capacité d'échange cationique). Des sols (sols A et B, propriétés décrites dans la thèse) ont été sélectionnés pour leurs propriétés « moyennes » afin d'évaluer au mieux l'impact du biochar. L'analyse de la composition minérale du biochar a révélé la présence de phases carbonatées, notamment de calcite, jouant un rôle dans l'immobilisation des métaux.
1. Caractérisation du biochar
L'étude porte sur la caractérisation du biochar, matériau central de la recherche. Une attention particulière est accordée à sa composition minérale, souvent plus importante que dans les charbons activés. La proportion de cette composante varie selon l'origine de la biomasse : faible pour le bois, elle augmente avec les espèces herbacées et devient élevée pour les déchets animaux. La température de pyrolyse influence la nature des phases minérales, avec une possible volatilisation de certains éléments (comme le potassium) et des changements de cristallographie (silicium). Une fraction minérale labile, composée principalement de potassium, soufre, calcium et phosphore (pour les biochars issus de boue), est identifiée. Cependant, la nature exacte de ces phases minérales et leur rôle dans les effets du biochar dans les sols restent peu étudiés. L'analyse met en évidence la présence de cristaux de calcite, notamment dans les biochars issus de bois feuillus, un aspect qui sera ultérieurement étudié. La représentativité du biochar 1, utilisé comme modèle, est justifiée par sa prédominance dans la littérature scientifique et le contexte du projet LORVER qui envisage la valorisation de biomasse ligneuse par pyrolyse.
2. Choix du biochar modèle et justification
Le choix du biochar modèle (Biochar 1) repose sur sa représentativité. Des méta-analyses (Jeffery et al., 2011; Liu et al., 2013) et des études de l'action COST TD1107 montrent que le bois constitue la principale source de biomasse pour la production de biochar (70 à 80%). Ce choix est cohérent avec le projet LORVER qui prévoit la valorisation de biomasse ligneuse par pyrolyse. L'utilisation d'un biochar produit à partir d'un mélange de bois feuillus et résineux permet d'obtenir des propriétés moyennes, représentatives d'un biochar de bois typique. Des pré-essais ayant révélé des différences de pH initial entre les solutions métalliques selon l'élément et sa concentration, une acidification préalable des solutions est effectuée pour obtenir un pH initial équivalent afin de se rapprocher des conditions réelles du sol contaminé. Cette approche est justifiée par le pH initial du biochar qui est supérieur à celui du milieu dans lequel il sera introduit (sol contaminé).
3. Caractérisation des sols
Trois sols (A, B, C) ont été sélectionnés pour leurs propriétés de texture relativement équilibrées entre sables et argiles. Ce choix vise à éviter une surestimation (sol sableux) ou une sous-estimation (sol argileux) des effets du biochar. Une caractérisation agronomique complète a été réalisée, incluant la mesure du pH, du carbone organique total, du CaCO3 total, de l'azote total, des cations échangeables, du phosphore assimilable (méthodes Olsen et Joret-Hébert), des éléments totaux (extraction à l'acide fluorhydrique), des éléments extractibles (DTPA et CaCl2), de la silice totale et de la capacité d'échange cationique (CEC). La mesure du « black carbon » a également été effectuée selon une méthode développée au LAS. L’analyse des sols permet de définir des sols de référence pour tester les effets du biochar sur des sols aux caractéristiques moyennes, évitant les biais liés à des conditions extrêmes de texture. Les propriétés spécifiques de chaque sol (A, B et C) permettent des comparaisons plus fines et une meilleure compréhension de l’interaction biochar-sol.
III.Mécanismes d Immobilisation des Métaux par le Biochar
L'étude a démontré que l'immobilisation des métaux par le biochar est principalement due à l'augmentation du pH du sol. Des mécanismes de précipitation et de co-précipitation avec les carbonates (PbCO3), ainsi que des échanges cationiques et une complexation de surface, contribuent également à la réduction de la mobilité des métaux. L'analyse a révélé l'importance des phases minérales du biochar, particulièrement la calcite, dans ces processus. La matière organique labile du biochar peut aussi contribuer à la stabilisation de certains métaux en solution.
1. Rôle principal de l augmentation du pH
L'immobilisation des métaux observée est principalement liée à l'augmentation du pH induite par l'ajout de biochar. Cette conclusion est étayée par l'absence de différence significative dans l'extraction des métaux au DTPA (à pH constant), contrairement à la diminution des quantités extractibles au CaCl2 (pH ajusté au sol). L'effet principal à court terme du biochar sur la mobilité des métaux semble donc résider dans l'augmentation du pH, plutôt que dans sa capacité d'adsorption directe. Cette augmentation du pH accroît les charges négatives à la surface des particules du sol, diminuant la solubilité des métaux et augmentant ainsi leur rétention par le sol. L'effet indirect du biochar sur la rétention des métaux par le sol apparaît donc plus important que son effet direct par adsorption. Des capacités de rétention maximales plus importantes, observées lors d'essais de lixiviation, suggèrent des mécanismes supplémentaires à l'adsorption directe.
2. Mécanismes de précipitation et co précipitation
L'immobilisation des métaux implique des mécanismes de précipitation et de co-précipitation. Une diminution générale du pH est observée suite à la sorption des métaux. Bien qu'un échange direct de H+ à la surface du biochar soit possible, la précipitation du métal avec des hydrogénocarbonates présents dans la suspension de biochar est plus probable (réaction : M2+ + 2HCO3- → MCO3(s) + 2H+). La quantité de H+ correspondant à l'acidification observée est cependant inférieure à la quantité de métal immobilisé, suggérant un effet tampon du biochar. La précipitation est confirmée par la présence de phases de PbCO3 cristallisées et la proportionnalité entre les quantités de Pb et Cu immobilisées et la diminution du carbone inorganique en solution. La localisation de ces précipités de carbonate sur les particules de biochar résineux est liée à la distribution de l’eau dans les trachéides ou les rayons ligneux. La co-précipitation avec le calcium, formant de la calcite, est également impliquée, les métaux se substituant potentiellement au calcium dans la structure cristalline. Ceci explique la proportionnalité des teneurs en Ca, Pb et Cd mesurées.
3. Mécanismes secondaires d immobilisation
Outre la précipitation, d'autres mécanismes secondaires contribuent à l'immobilisation des métaux. Un échange cationique entre les métaux divalents (K+, Mg2+, Zn2+, et probablement Ca2+) est observé, bien qu'il représente une faible part de l'immobilisation totale. La présence de groupes fonctionnels oxygénés (C=O ou O-C=O) suggère une complexation de surface des métaux, particulièrement importante avec une biomasse mal pyrolysée. Des relations linéaires entre le carbone organique en solution et la concentration de cuivre à l'équilibre indiquent une possible complexation du cuivre dans la solution avec des composés organiques labiles du biochar, conduisant à sa stabilisation en solution. Ces mécanismes secondaires, conjugués à l'effet principal de l'augmentation du pH, expliquent l'efficacité du biochar dans l'immobilisation des métaux. Une distinction quantitative entre ces différents mécanismes n’a pas été réalisée.
IV.Effet du Biochar sur la Croissance des Plantes et l Absorption des Métaux
Des essais culturaux avec Lolium perenne et Noccaea caerulescens (hyperaccumulateur) ont été réalisés pour évaluer l'influence du biochar sur la croissance végétale et l'absorption des métaux. Les résultats montrent un impact variable selon l'espèce végétale et la dose de biochar. Le biochar peut réduire ou augmenter l'absorption des métaux par les plantes, en fonction du pH du sol et d'autres mécanismes physiologiques. Des phénomènes de tropisme racinaire (carbotropisme) ont été observés.
1. Expériences sur l influence du biochar sur la croissance et l absorption des métaux
Deux expériences ont été menées pour étudier l'influence du biochar sur la croissance et l'absorption des métaux par les plantes. La première compare l'impact du biochar sur le ray-grass (Lolium perenne) et un hyperaccumulateur de cadmium et de zinc (Noccaea caerulescens). Différents taux d'amendement en biochar (0, 0,5 et 5 % pour le sol A; 0; 0,5; 1; 5 et 10 % pour le sol B) ont été testés. L'humidité du sol a été maintenue à 60 % de la capacité au champ. La deuxième expérience, focalisée sur N. caerulescens, évalue l'effet du biochar (0, 0,5 et 5 %) sur un seul individu par pot, avec 10 réplicats par modalité. L'humidité du sol a été ajustée à 75-80 % puis 65-70 % au cours de l'expérience. Ces expériences permettent de comparer l’impact du biochar sur deux types de plantes, l’une tolérante et l’autre hyperaccumulatrice, en fonction de la concentration et du type de sol.
2. Résultats et interprétations préliminaires sur l absorption des métaux
L'analyse du sol récupéré après les expériences montre une influence significative du biochar sur le pH du sol et les quantités de métaux extractibles au CaCl2. Le pH est généralement plus élevé avec des doses importantes de biochar, sauf pour le sol B à 0,5 %. La quantité de métaux extractibles diminue généralement avec les doses croissantes de biochar. L'hyperaccumulation de cadmium est minimale après la croissance de N. caerulescens, particulièrement sur le sol A. Les quantités de sodium, potassium et magnésium extractibles augmentent avec les doses de biochar. Dans la rhizosphère de N. caerulescens, le cadmium et le magnésium sont moins extractibles, tandis que le potassium, le sodium et le cuivre le sont davantage. Ces résultats préliminaires indiquent une influence complexe du biochar sur la disponibilité et l'absorption des métaux, selon le type de plante et les caractéristiques du sol.
3. Analyse de l impact du biochar sur le prélèvement racinaire et la physiologie végétale
L'augmentation de l'hyperaccumulation par le biochar semble due à un épuisement des cations majeurs en solution. Une diminution de la compétition entre les métaux et d'autres cations pour le prélèvement racinaire est envisagée. L'immobilisation de calcium pourrait diminuer cette compétition. Pour Lolium perenne, le prélèvement des métaux est proportionnel à leur concentration en solution, suggérant une absorption via l'apoplasme, contrairement à N. caerulescens. Une augmentation de la surface racinaire, en particulier dans le sol acide amendé au biochar, pourrait aussi expliquer une absorption plus importante des métaux, malgré une baisse des quantités extractibles. L’acidification du sol par les racines de Zea mays pourrait également augmenter la disponibilité des métaux. Un tropisme positif des racines vers les zones amendées au biochar a été observé pour Zea mays et N. caerulescens sur le sol acide, mais un évitement de ces zones sur le sol alcalin.
V.Durabilité de l Effet du Biochar
L'étude a également exploré la durabilité de l'effet du biochar sur la mobilité des métaux à long terme. Les résultats suggèrent que la capacité du biochar à augmenter le pH et donc à immobiliser les métaux est liée à la dissolution des phases minérales carbonatées. Une fois ces phases épuisées, l'échange cationique sur les groupes fonctionnels organiques du biochar prend le relai, mais avec une capacité limitée.
1. Effets à long terme du biochar sur le pH et la mobilité des métaux
L'étude examine la durabilité de l'effet du biochar sur la mobilité des métaux dans les sols. Des observations de sols contenant du biochar depuis plusieurs années ou décennies suggèrent l'absence de différence significative de pH, et donc de mobilité des métaux comme le nickel, à long terme. L’augmentation du pH observée à court terme est liée aux phases minérales du biochar, notamment les carbonates (calcite). Une fois la majorité du carbonate de calcium dissous, le biochar continue de neutraliser l'acidité du sol par échange cationique sur ses groupes fonctionnels organiques. Cependant, cette capacité de neutralisation est finie. Lorsque la surface du biochar est saturée en protons, sa capacité à neutraliser l'acidité diminue fortement, entraînant un pH inférieur à 5. La dissolution des phases d'alumine ou de silice ne joue un rôle que dans les sols très acides. La durabilité de l'effet du biochar sur la mobilité des métaux dépend donc fortement de sa composition minérale initiale et de la capacité tampon du sol.
2. Impact du biochar sur le transfert des métaux vers la plante
La plupart des études montrent une diminution du transfert des métaux vers la plante en présence de biochar, liée à l'immobilisation des métaux. Cependant, les études disponibles ne couvrent pas toutes les associations sol-biochar-plante possibles, notamment celles impliquant des hyperaccumulateurs. L’utilisation d’hyperaccumulateurs est généralement réalisée dans le cadre de phytoextraction, où le biochar pourrait être perçu comme sans intérêt voire inhibiteur du potentiel de phytoextraction. Les données montrent des tendances contrastées, avec une possible augmentation du transfert des métaux vers les parties aériennes de plantes accumulatrices (Fellet et al., 2014). Une analyse plus approfondie est nécessaire pour déterminer l'interaction complexe entre le biochar, le sol, et les différents types de plantes, tenant compte de leurs mécanismes d'absorption et de la dynamique des métaux dans le sol à long terme.