
Modélisation de l'évolution climatique de l'Antarctique
Informations sur le document
Auteur | Christophe Dumas |
instructor | Françcois-Xavier Le Diмет, Président |
École | Université Joseph Fourier - Grenoble 1 |
Spécialité | Sciences de la Terre et de l’Univers |
Type de document | Thèse |
Lieu | Grenoble |
Langue | French |
Format | |
Taille | 7.29 MB |
- Antarctique
- Modélisation climatique
- Glaciologie
Résumé
I.Modélisation de la dynamique de la calotte glaciaire antarctique et influence du changement climatique
Cette étude porte sur la modélisation tridimensionnelle de la calotte glaciaire antarctique, intégrant la dynamique des ice-shelves et la ligne d'échouage. Le modèle, développé initialement par Ritz et Fabre (1997) et Rommelaere et Ritz (1996), simule l'évolution géométrique et physique de la calotte en réponse à un forçage climatique. L'analyse se concentre sur les processus contrôlant l'avancée et le recul de la ligne d'échouage, en particulier l'impact du niveau de la mer, de la fusion basale sous les ice-shelves, de la température de surface et de l'accumulation de neige. Les données des carottes de glace de Vostok (420 000 ans de données de température) sont utilisées pour contraindre le modèle et valider les résultats. L'étude compare les résultats du modèle avec des données géologiques et d'autres modèles, notamment celui de Huybrechts.
1. Introduction Interactions complexes et le rôle du changement climatique
L'étude commence par souligner la complexité des interactions au sein des calottes glaciaires, en particulier pour les calottes polaires. Leur évolution dépend de nombreux facteurs : température atmosphérique, précipitations, niveau des océans et la chaleur apportée par l'océan sous les parties flottantes (ice-shelves). Inversement, les calottes influencent le système climatique global via leur albédo élevé, leur altitude (3000 à 4000 mètres) modifiant la circulation atmosphérique, et les changements du niveau des mers qu'elles induisent, affectant la circulation océanique. La modélisation de ces calottes nécessite l'intégration de conditions climatiques à leur surface, idéalement par couplage avec un modèle atmosphérique. Des travaux de couplage sont en cours au LSCE (Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement) avec le modèle CLIMBER et le modèle de calotte du LGGE (Laboratoire de Glaciologie et Géophysique de l'Environnement), mais dans une version limitée à la glace posée pour l'hémisphère nord. Pour l'Antarctique, où la dynamique de l'écoulement est prédominante, une approche plus simple perturbant les conditions climatiques actuelles, basées sur les données des carottes de glace de Vostok, est privilégiée. Ces données fournissent des informations sur les températures sur les derniers 420 000 ans, permettant des échanges réciproques entre modélisation et interprétation des forages glaciaires.
2. Modèle utilisé Description et historique du développement
Pour simuler l'évolution à long terme de la calotte antarctique, notamment les avancées et reculs de la ligne d'échouage, un modèle 3D est crucial. La géométrie et la dynamique des ice-shelves jouent un rôle primordial dans la position de cette ligne. En Antarctique, un couplage avec un modèle d'ice-shelves est indispensable pour modéliser l'évolution sur les cycles glaciaires-interglaciaires. Le modèle utilisé, développé par Catherine Ritz et Adeline Fabre (Ritz et al., 1997), a d'abord été appliqué à la calotte du Groenland avant d'être couplé au modèle d'ice-shelves de Vincent Rommelaere (Rommelaere et Ritz, 1996). Ce modèle a ensuite permis d'étudier la calotte antarctique sur les quatre derniers cycles glaciaires-interglaciaires (Ritz et al., 2001). Il simule l'évolution géométrique et physique de la calotte en réponse à un forçage climatique, tenant compte du couplage thermomécanique entre vitesse et température dans la glace. Le modèle sert ensuite à étudier les processus d'avancée et de recul de la ligne d'échouage via des expériences de sensibilité sur les paramètres du forçage climatique: variations du niveau de la mer, de la température de surface, de l'accumulation et de la fusion basale sous les ice-shelves. L'objectif est de comprendre les mécanismes d'englacement et de déglacement lors des transitions glaciaire-interglaciaire.
II.Paramètres clés et sensibilités du modèle fusion basale niveau de la mer topographie du socle
Le modèle utilise la loi de Glen (avec un exposant n ajusté selon les contraintes) pour décrire la déformation de la glace. Des analyses de sensibilité sont effectuées sur plusieurs paramètres, notamment la fusion basale (sous les ice-shelves), qui est déterminante, le niveau de la mer et la température de surface. L'impact de la topographie du socle est également étudié, en comparant les résultats obtenus avec les données de Huybrechts et les données plus récentes de BEDMAP (résolution 5 km). Des différences significatives sont observées, particulièrement en Antarctique de l'Ouest, affectant la simulation de l'écoulement de glace et la position de la ligne d'échouage.
1. Loi de déformation de la glace et facteur d amplification
Le modèle utilise la loi de Glen pour décrire la déformation de la glace, avec un exposant n qui peut varier. La plupart des modèles utilisent n=3, mais l'étude montre que dans les régions centrales de la calotte antarctique où les contraintes sont faibles et la température basse, un exposant n proche de 1 est plus réaliste. L'utilisation des coefficients standard conduit à des épaisseurs de glace simulées trop importantes. Pour corriger cela, un facteur d'amplification (enhancement factor, Ef) est introduit, permettant un meilleur accord entre l'épaisseur de glace modélisée et observée. Des mesures d'inclinométrie au Groenland (site Dye 3) indiquent un Ef d'environ 3 pour la glace déposée durant la glaciation du Wisconsin (Wurm) par rapport à celle de l'Holocène (Dahl-Jensen et Gundestrup, 1987). Ce facteur compense l'effet des impuretés et de l'anisotropie de la glace sur la déformation. L'approximation de la couche mince, utilisée dans le modèle, permet d'évaluer l'importance des différents termes dans l'équation d'équilibre quasi-statique et d'identifier ceux qui peuvent être négligés. Cette approximation est valable sauf dans des zones spécifiques comme les ice-streams étroits ou la transition ice-shelf/calotte posée, où des ordres supérieurs d'approximation sont préférables, bien que plus coûteux en temps de calcul (Mangeney, 1996; Dahl-Jensen, 1989; Pattyn, 1990; Blatter, 1995; Colinge et Blatter, 1998; Saito, 2001).
2. Sensibilité du modèle au niveau de la mer et à la fusion basale
Des expériences de sensibilité sont réalisées pour étudier l'impact de plusieurs paramètres sur l'avancée et le recul de la ligne d'échouage. Le niveau de la mer, la température de surface, l'accumulation de neige et la fusion basale sous les ice-shelves sont analysés. L'augmentation du niveau de la mer provoque un recul géométrique de la ligne d'échouage et une accélération de l'écoulement juste en amont, menant à un amincissement de la glace. Cet amincissement réduit la pression effective, créant une rétroaction positive si le socle est sous le niveau de la mer. Comme une grande partie du socle antarctique, notamment en Antarctique de l'Ouest, est à une altitude proche ou inférieure au niveau de la mer actuel, toute variation de ce dernier aura une forte influence sur la dynamique de la calotte. La fusion basale sous les ice-shelves est calculée différemment, car la glace flottante interagit avec l'océan. Des modèles ice-shelf-océan existent (Jenkins, 1991; Grosfeld et Gerdes, 1998), mais ils sont adaptés à de courtes expériences et ne peuvent être couplés au modèle utilisé ici. Une fusion basale uniforme est adoptée dans une première approche (Ritz et al., 2001), sachant que la fusion est plus forte à la ligne d'échouage (Jenkins et Bombosch, 1995) et peut atteindre des valeurs beaucoup plus élevées que la moyenne (Rignot et Jacobs, 2002).
3. Rôle de la topographie du socle Comparaison Huybrechts et BEDMAP
L'initialisation du modèle nécessite des données sur la topographie du socle, de la surface et de l'épaisseur de glace. Initialement, les données de Huybrechts et al. (2000) ont été utilisées, mais elles présentaient un manque d'informations dans certaines régions. Les cartes BEDMAP, avec une résolution de 5 km, fournissent des données plus complètes et sont utilisées dans cette étude, après moyennisation pour s'adapter aux grilles de 40 et 20 km du modèle. Une comparaison des données de topographie du socle entre Huybrechts et BEDMAP révèle des différences significatives, notamment dans le Queen Mary Land, en amont de l'Amery ice-shelf, dans le Dronning Maud Land et en Marie Byrd Land. Dans ces régions, le socle BEDMAP est souvent plus élevé que celui de Huybrechts, avec un relief plus accentué. Des différences marquées sont également constatées sur la côte ouest de la péninsule antarctique, jusqu'à la baie de Pine Island, où le socle BEDMAP est plus profond. L’utilisation de ces différentes cartes de socle a une influence directe sur les résultats du modèle, particulièrement sur les bords de la calotte, un socle plus haut limitant l'évacuation de la glace et provoquant un épaississement. Cette différence est particulièrement mise en évidence lors de la simulation de l'évolution de l'épaisseur de glace, montrant une plus grande diminution en Antarctique de l'Ouest avec le socle de Huybrechts, comparé au socle BEDMAP, confirmant l'influence du relief du socle sur l'écoulement.
III.Simulation des cycles glaciaires interglaciaires et évolution future de la calotte glaciaire
Le modèle est utilisé pour simuler les quatre derniers cycles glaciaires-interglaciaires. Les résultats montrent une bonne concordance avec les données géologiques concernant les variations de volume et de surface de la calotte glaciaire. L'étude examine la réversibilité des évolutions glaciaires et la réponse dynamique de la calotte aux changements climatiques. L'analyse met en évidence le rôle crucial de la fusion basale et du niveau de la mer dans les mouvements de la ligne d'échouage. Une simulation de l'évolution future sous les conditions climatiques actuelles prédit un recul de la ligne d'échouage en Antarctique de l'Ouest et une augmentation du niveau de la mer de 77 cm en 5000 ans.
1. Simulation des cycles glaciaires interglaciaires Validation par données géologiques
Le modèle est utilisé pour simuler les quatre derniers cycles glaciaires-interglaciaires, permettant une comparaison avec les données géologiques. Les résultats montrent une évolution du volume et de la surface de la calotte glaciaire en accord qualitatif avec ces données. Pour la dernière période interglaciaire, la calotte modélisée est légèrement plus petite que celle observée actuellement, ce qui impliquerait une augmentation du niveau de la mer de 1,6 m. Cette valeur pourrait contribuer à expliquer le maximum de niveau des mers (+6 m) observé à 122 ka BP. Pour le dernier maximum glaciaire, la simulation suggère une diminution du niveau de la mer d'environ 14 m, cohérent avec les reconstructions géologiques. Le déglacement tardif de l'Antarctique depuis le dernier maximum glaciaire, également simulé, est en accord avec les données géologiques. Cette validation permet de renforcer la confiance dans les résultats du modèle, tout en identifiant les points à améliorer. La comparaison souligne l'importance de la position de la ligne d'échouage dans la détermination du volume de la calotte antarctique (Anderson et al., 2002; Conway et al., 1999; Denton et Hughes, 2002; Ritz et al., 2001; Huybrechts et DeWolde, 1999).
2. Expériences de sensibilité Impact du niveau de la mer et de la fusion basale
Des expériences de sensibilité sont conduites pour évaluer l'influence de différents paramètres sur l'évolution de la calotte. Ces tests montrent que le volume de la calotte est lié à sa surface posée : une augmentation de cette surface est toujours associée à une augmentation du volume. Une augmentation du volume sans augmentation de la surface posée est uniquement possible via une augmentation de l'accumulation. Les variations de température ont un impact limité, ne modifiant la vitesse d'écoulement qu'après des dizaines de milliers d'années. Le niveau de la mer et la fusion basale sous les ice-shelves sont les paramètres les plus importants pour les mouvements de la ligne d'échouage. Pour l'englacement, les effets de ces deux paramètres sont presque additifs. Le recul de la ligne d'échouage est plus difficile à obtenir et nécessite une augmentation du niveau de la mer et de la fusion basale, via des rétroactions positives impliquant la pression effective. Des mécanismes accélérant l'écoulement en amont de la ligne d'échouage (augmentation du niveau des mers, température de surface et fusion basale dans le cas d'ice-shelves confinés) diminuent la pression effective par amincissement de la glace, participant au recul. Les caractéristiques géographiques, telles que la pente du socle et le confinement des ice-shelves, jouent également un rôle.
3. Réversibilité des évolutions et évolution future de la calotte
Une expérience de réversibilité est menée en partant de deux états initiaux différents (après 100 000 ans de simulation), en appliquant un forçage climatique de 200 000 ans (cycle glaciaire-interglaciaire). Les résultats indiquent une certaine réversibilité, la calotte retrouvant un état proche de l'initial, bien que l'équilibre ne soit pas totalement atteint à la fin de la simulation. La vitesse de la déglaciation est beaucoup plus rapide que celle de la glaciation, limitée par le taux d'accumulation. Une autre expérience, conservant les conditions climatiques actuelles, évalue l'évolution future de la calotte. Il est observé que la calotte n'est pas à l'équilibre avec les conditions présentes: le volume de glace diminue régulièrement, menant à une augmentation du niveau de la mer de 77 cm en 5000 ans, alors que la surface posée diminue peu. Un recul de la ligne d'échouage est observé en Antarctique de l'Ouest, particulièrement du côté du Ross ice-shelf. La comparaison avec le modèle de Philippe Huybrechts montre des différences liées au traitement des ice-streams, le modèle de Huybrechts ne tenant pas compte de la physique spécifique de leur écoulement rapide. Ce point est crucial, surtout en Antarctique de l'Ouest.
IV.Améliorations du modèle et perspectives couplage glace atmosphère océan
Le modèle a subi des améliorations numériques significatives, notamment l'ajustement du pas de temps pour améliorer la précision de la simulation de l'écoulement des ice-shelves. Les résultats soulignent l'importance de la résolution spatiale (comparaison des simulations à 40 km et 20 km de maille) et la nécessité d'une calibration précise du frottement basal sous les ice-streams. L'étude conclut en soulignant l'importance d'un couplage plus complet des modèles glace-atmosphère-océan pour améliorer la prévision de l'évolution future de la calotte glaciaire antarctique et son impact sur le niveau de la mer. Le couplage avec le modèle CLIMBER est mentionné comme un axe de recherche en cours.
1. Améliorations du modèle Pas de temps et modularité
Le modèle a été amélioré de manière significative, notamment en ce qui concerne son aspect numérique et sa modularité. Une amélioration majeure concerne le pas de temps long (DTT) utilisé pour le calcul des vitesses de l'ice-shelf. Dans la version précédente (Ritz et al., 2001), ce pas de temps était de 50 ans, ce qui introduisait un biais facilitant le recul de la ligne d'échouage. Des tests systématiques ont permis d'optimiser cette valeur à 20 ans. Le modèle actuel présente de nombreuses différences numériques avec celui de Ritz et al. (2001) car une grande partie du code a été modifiée pour améliorer sa modularité. L'augmentation de la résolution spatiale du modèle, passant de 40 km à 20 km de maille, a considérablement augmenté le temps de calcul (30 fois plus lent). Ceci rend le modèle à 20 km beaucoup plus coûteux en temps de calcul pour simuler les cycles climatiques. Cependant, une meilleure calibration du modèle à 20 km, notamment en ajustant le coefficient de frottement basal sous les ice-streams, permettra d'améliorer la précision des résultats, en particulier pour simuler l'écoulement dans l'Amery ice-shelf et se rapprocher de la topographie mesurée. Malgré la complexité de trouver les paramètres idéaux et le temps de calcul important, ce modèle à plus haute résolution reste prometteur.
2. Perspectives Couplage glace atmosphère océan et applications futures
L'étude souligne la nécessité d'une approche plus intégrée pour la modélisation des calottes glaciaires. Les calottes polaires ne peuvent plus être considérées de manière isolée; elles font partie intégrante du système climatique. Un couplage des modèles glace-atmosphère-océan est donc crucial. Des instantanés du climat peuvent être utilisés pour développer des paramétrisations plus réalistes, par exemple pour évaluer les changements de précipitation liés à la formation d'ice-shelves ou pour affiner la paramétrisation de la fusion basale. Le couplage du modèle de calotte avec un modèle de climat intégrable sur des dizaines de milliers d'années est envisagé, notamment avec le modèle CLIMBER. Ces travaux sont en cours. Le modèle antarctique pourrait également être appliqué aux calottes de l'hémisphère nord, la comparaison avec les données existantes ayant permis d'évaluer la fiabilité des simulations. La fusion basale sous les ice-shelves, un paramètre clé, varie spatialement et son impact précis sur l'évolution de la calotte de glace Antarctique doit être mieux modélisé à l’aide d’un couplage glace-océan plus sophistiqué.