
Thèse de Doctorat en Géosciences de l'Environnement
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Langue | French |
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Taille | 65.25 MB |
- Géosciences
- Paléoclimatologie
- Foraminifères
Résumé
I.Datation et Chronologie des Changements Climatiques
Cette thèse explore la chronologie des changements climatiques au cours des derniers millions d'années, en se concentrant sur la relation entre les cycles d'insolation (Milankovitch) et les variations du volume des glaces. L'étude s'appuie sur des analyses de δ18O dans les foraminifères benthiques et planctoniques, ainsi que sur des méthodes de datation absolue (U/Th et 14C). Des décalages temporels entre le réchauffement et l'augmentation du volume de glace sont observés, remettant en question la théorie astronomique pure et suggérant un rôle plus important des mécanismes internes du système climatique. La courbe SPECMAP et les données plus récentes de Lisiecki et Raymo (2005) servent de références pour la stratigraphie isotopique. L'analyse des terminaisons glaciaires-interglaciaires, notamment la Terminaison II, révèle des complexités et des désaccords entre les âges absolus et la chronologie des variations du volume des glaces. Le stade isotopique 11 (MIS 11), une période interglaciaire particulièrement longue et chaude, est identifié comme un analogue potentiel à l'époque actuelle et fait l'objet d'une étude approfondie.
1. Théorie de Milankovitch et Datation Absolue
La section initiale introduit la théorie de Milankovitch, liant les variations d'insolation à 65°N aux changements climatiques terrestres via l'influence sur le volume de la calotte glaciaire de l'hémisphère Nord. Cependant, la datation absolue de cycles glaciaires et interglaciaires récents contredit cette théorie dans certains cas. Des études (Winograd et al., 1988 et 1992; Ludwig et al., 1992 et 1993; Hillaire-Marcel et al., 1996; Henderson et Slowey, 2000) montrent un réchauffement et une remontée du niveau marin précédant l'augmentation de l'insolation à 65°N lors de certaines terminaisons glaciaires-interglaciaires. Bien que toutes les terminaisons ne présentent pas ce décalage, la rareté des datations absolues dans les archives paléoclimatiques limite l'interprétation. Des travaux océaniques (Lea et al., 2002) mettent en évidence un déphasage entre les variations du volume des glaces et les changements de températures de surface de la mer aux basses latitudes, le réchauffement tropical précédant les variations de volume de glace. L'utilisation d'un traceur dépendant d'autres processus remet en question ces résultats, soulignant la nécessité de clarifier le rôle des basses latitudes et les mécanismes de propagation des changements climatiques. La variabilité naturelle du CO2 dans les glaces entre -450 000 ans et l'actuel est comparée aux teneurs enregistrées depuis 1980, montrant une augmentation significative depuis 1980.
2. Enregistrements Paléoclimatiques de Référence et Orbital Tuning
Cette partie explore les méthodes de datation des enregistrements paléoclimatiques, en particulier l'orbital tuning. La courbe SPECMAP (Imbrie et al., 1984), premier enregistrement de référence de δ18O daté par orbital tuning, est discutée, ainsi que son affinement au cours des années 1990 (Imbrie et al., 1989, 1992, 1993). Cette courbe, basée sur des données de δ18O dans les sédiments marins, couvrait initialement les 800 000 dernières années. La chronologie des cycles glaciaires et interglaciaires était établie à partir d'un modèle de réponse linéaire de la glace aux changements d'insolation, avec un décalage de 5000 ans, conformément à la théorie de Milankovitch. Les travaux de Shackleton et al. (1990) ont étendu cet enregistrement à 2,75 millions d'années. Plus récemment, Lisiecki et Raymo (2005) ont publié une courbe de δ18O compilée à partir de 57 enregistrements couvrant les 5,3 derniers millions d'années, fournissant un enregistrement de référence plus complet et précis. La numérotation des cycles glaciaires et interglaciaires, basée sur la stratigraphie isotopique, est également expliquée. Les variations de la composition isotopique en oxygène (δ18O), principalement influencées par les changements du volume des glaces, sont présentées en détail.
3. Méthodes de Datation Absolue et leurs Limites
La section détaille les méthodes de datation absolue, reposant sur la décroissance radioactive des éléments. La datation au 14C est limitée à environ 45 000 ans, tandis que la méthode U/Th permet de dater jusqu'à 500 000 ans environ. L'application de la méthode U/Th aux coraux fossiles a permis de reconstituer les variations du niveau marin jusqu'à 200 000 ans (Bard et al., 1990; Hamelin et al., 1991; Chen et al., 1991; Gallup et al., 1994; Stirling et al., 1995 et 1998; Bard et al., 1996; Lambeck et Chappell, 2001; Muhs et al., 2002; Thompson et Goldstein, 2005 et 2006). La validité de la méthode U/Th dépend de l'évolution du système en milieu fermé, condition non toujours respectée en raison de la diagenèse. La datation des variations du niveau marin au-delà de 200 000 ans à partir des coraux fossiles reste donc difficile (MIS 5: Stirling et al., 1998; MIS 7: Gallup et al., 1994). Des modèles de correction ont été proposés (Villemant et Feuillet, 2003; Thompson et Goldstein, 2005, 2006), mais leurs résultats dépendent du modèle employé. Des divergences apparaissent entre les âges absolus et la chronologie des variations du volume des glaces pour certaines périodes, comme la Terminaison II (Winograd et al., 1988 et 1992; Ludwig et al., 1992 et 1993; Gallup et al., 2002; Hillaire-Marcel et al., 1996; Andrews et al., 2007; Waelbroeck et al., 2008), soulignant la complexité de la dynamique climatique. Cependant, d'autres périodes comme le MIS 5, la Terminaison III et le MIS 7 montrent un accord avec la chronologie astronomique (Slowey et al., 1996; Robinson et al., 2002; Henderson et al., 2006; Bard et al., 2002).
4. Le Stade Isotopique 11 MIS 11 Un Analogue de l époque Actuelle
Le stade isotopique 11 (MIS 11) est présenté comme une période interglaciaire particulièrement importante, étant la plus longue et la plus chaude du dernier million d'années (Droxler et al., 2003; Berger et Wefer, 2003), sans variations significatives de l'insolation ni de teneurs en CO2 atmosphérique (Siegenthaler et al., 2005). Cette période se caractérise par des températures de surface de l'océan anormalement élevées (Lea et al., 2003) et des changements profonds dans les cycles des carbonates (Howard, 1997; Droxler et Farrell, 2000; Raynaud et al., 2005). Sa configuration orbitale étant similaire à l'Holocène, le MIS 11 est considéré comme un analogue de la période actuelle, rendant sa datation précise cruciale pour comprendre les changements climatiques actuels et futurs. La similarité orbitale entre le MIS 11 et l'Holocène rend le MIS 11 pertinent comme analogue pour l'étude de l'impact des forçages astronomiques sur le climat.
II.Analyse Minéralogique et Géochimique des Sédiments du Bassin de Walton
L'étude porte sur les sédiments du Bassin de Walton (Mer des Caraïbes), en particulier la carotte MD03-2628. L'analyse minéralogique par diffraction X (DRX) se concentre sur la Mg-calcite, un minéral métastable, pour déduire des informations sur la composition des eaux de fond et la ventilation des eaux intermédiaires. L'analyse de la teneur en MgCO3 de la Mg-calcite, couplée à l'abondance relative de Mg-calcite et d'aragonite, permet de détecter de subtils changements dans le système carbonaté. L'influence de processus sédimentaires comme la cémentation, la dissolution et les apports de rivières sont considérés. Des travaux antérieurs de Glaser et Droxler (1993) et Haddad et Droxler (1996) servent de point de comparaison.
1. Caractéristiques du Bassin de Walton et Sédimentation
L'étude se concentre sur l'analyse des sédiments du Bassin de Walton, une zone de la Mer des Caraïbes caractérisée par sa physiographie semi-fermée. Cette configuration protège les sédiments de l'influence du courant des Caraïbes, dont la force est maximale à l'ouest du Pedro Bank (Glaser et Droxler, 1991 et 1993; Glaser, 1992). Les courants de la limite nord équatoriale (CLLJ) ne semblent pas influencer ce bassin, contrairement à d'autres zones de la Mer des Caraïbes. La fraction grossière du sédiment (>150 µm) est principalement composée de foraminifères planctoniques et de ptéropodes (Glaser et Droxler, 1993). Le Bassin de Walton est une zone oligotrophique, avec un pic de productivité primaire pélagique entre février et avril, les sels nutritifs étant apportés par la circulation de surface pendant l'hiver boréal. Deux sources principales de nutriments sont identifiées : les upwellings du sud de la Mer des Caraïbes générés par les CLLJ (Andrade et Barton, 2005) et les apports des rivières (Müller-Karger et al., 1989; Hu et al., 2004). La productivité néritique ne présente pas de saisonnalité (Glaser et Droxler, 1991 et 1993; Glaser, 1992). La sédimentation des particules fines est donc favorisée dans ce milieu protégé.
2. Analyse Minéralogique par Diffraction des Rayons X DRX
L'analyse minéralogique des sédiments utilise la diffraction des rayons X (DRX). Cette technique, basée sur les propriétés cristallographiques des minéraux, permet d'identifier et de quantifier les différentes phases cristallisées présentes dans l'échantillon. L'étude se concentre sur la caractérisation des carbonates, notamment la calcite, l'aragonite, la Mg-calcite et la dolomite. La méthode DRX permet également d'évaluer la cristallinité des minéraux; un minéral bien cristallisé présentant des pics étroits et intenses. Les substitutions atomiques, comme le remplacement du Ca par du Mg dans la calcite pour former de la Mg-calcite, déforment le réseau cristallin, modifiant le spectre de diffraction. Une calibration reliant le paramètre d(hkl) à la teneur en % mol MgCO3 (Goldschmidt et Graf, 1958) est utilisée pour déterminer les variations de la teneur en Mg dans la Mg-calcite fine de la carotte MD03-2628 en relation avec les cycles climatiques. L'analyse de la fraction fine (<63 µm) est détaillée, incluant des analyses de granulométrie et des éléments mineurs.
3. Géochimie des Éléments Mineurs et Analyses Isotopiques
Pour caractériser la composition en éléments mineurs de la fraction fine, des analyses de rapports Mg/Ca et Sr/Ca sont effectuées sur 15 échantillons. La partie carbonatée de la fraction fine est dissoute dans de l'acide nitrique dilué, puis analysée par Spectrométrie d'émission atomique à générateur inductif de plasma (ICP-OES), avec un contrôle de la contribution des argiles par la mesure du rapport Fe/Ca. La précision des analyses Mg/Ca et Sr/Ca est estimée à 2,35% et 0,33%, respectivement. Les teneurs en CaCO3 et carbone organique (Corg), ainsi que les propriétés magnétiques sont mesurées. Des analyses isotopiques stables (δ18O et δ13C) sont réalisées sur la fraction fine et sur les foraminifères planctoniques. L'étude inclut des analyses de paléomagnétisme et des datations absolues 14C et U/Th. La procédure de mise en âge de la carotte MD03-2628 est décrite. Les protocoles de préparation et d'analyse sont basés sur les travaux de Verardo et al. (1990), utilisant un analyseur élémentaire CNS (Carbon, Nitrogen, Sulfur) Fisons NA 1500.
4. Travaux Antérieurs et Approche Originale
Des travaux antérieurs dans le Bassin de Walton (Glaser et Droxler, 1993; Haddad et Droxler, 1996) ont montré que la composition minéralogique des sédiments dépend des changements de productivité, de la préservation-dissolution du CaCO3, des processus de dispersion-cimentation, et de la dilution par les apports non carbonatés. Ces processus varient à l'échelle des cycles glaciaires-interglaciaires. L'étude présente utilise une approche originale, en se concentrant sur l'étude approfondie de la Mg-calcite, minéral le plus métastable, en combinant l'analyse minéralogique avec la teneur molaire en Mg (mol % MgCO3). Cette approche vise à mettre en évidence des processus différents de ceux étudiés précédemment. Les résultats de cette étude sont présentés dans un article soumis à la revue Geochemistry Geophysics Geosystems. L'objectif est d'améliorer la compréhension de la dynamique du système carbonaté, notamment la dissolution préférentielle de la Mg-calcite pendant les périodes glaciaires.
III.Paléothermométrie et Reconstitution des Paléotempératures
La paléothermométrie est abordée à travers deux méthodes : le rapport Mg/Ca dans les foraminifères planctoniques et l'indice U K’ 37 des alcénones. Des difficultés sont rencontrées avec la méthode Mg/Ca en raison de la contamination par la Mg-calcite dans les sédiments de faible profondeur. L'analyse isotopique du δ18O dans le CaCO3, bien établie par des travaux pionniers d'Urey (1947), McCrea (1950) et Emiliani (1956), est utilisée pour reconstituer les paléotempératures, en tenant compte de l'effet vital des foraminifères.
IV.Bioturbation et Impact sur la Chronologie
L'impact de la bioturbation sur les enregistrements paléocéanographiques est étudié en comparant les enregistrements isotopiques (δ18O) et l'abondance de la fraction fine d'aragonite et de Globigerinoides ruber (G. ruber) dans la carotte MD03-2628. Un modèle numérique (Bard et al., 1987) est utilisé pour estimer la profondeur de la couche mixte bioturbée. Les différences chronologiques entre les différentes fractions sont expliquées par la bioturbation et les variations du taux de sédimentation.
1. Bioturbation et Disparités Stratigraphiques
Cette section examine l'impact de la bioturbation sur la chronologie des enregistrements paléocéanographiques dans le carotte MD03-2628 du Bassin de Walton. L'étude se concentre sur le décalage stratigraphique observé entre la fraction fine d'aragonite et les foraminifères planctoniques Globigerinoides ruber (G. ruber). Plusieurs processus sont considérés pour expliquer ces disparités : i) la bioturbation des deux fractions dont l'abondance varie au cours du temps, testée à l'aide d'un modèle numérique (Bard et al., 1987) ; ii) une bioturbation différentielle en fonction de la taille des particules ; et iii) des changements dans le contexte sédimentologique, comme indiqué par les variations de la minéralogie de la fraction carbonatée fine. Les résultats de l'étude de la carotte MD03-2628 ont des implications importantes pour les études chronologiques, la fraction fine d'aragonite pouvant fournir des âges absolus aux enregistrements paléocéanographiques grâce à la méthode de datation Uranium-Thorium (U/Th).
2. Modélisation de la Bioturbation et Calculs Isotopiques
Pour quantifier l'effet de la bioturbation, un modèle numérique est utilisé. L'enregistrement isotopique non bioturbé est combiné avec l'enregistrement d'abondance bioturbé pour calculer l'enregistrement isotopique bioturbé. À chaque étape du calcul, les enregistrements simulés sont comparés aux mesures pour choisir la valeur de H (profondeur de la couche mixte) qui donne des résultats les plus proches des analyses. Les expériences de modélisation sont appliquées à l'intervalle de temps MIS2-Holocène (dernière déglaciation). Cette période se caractérise par des changements inverses dans la proportion de la fraction fine et l'abondance de G. ruber, un décalage temporel entre les deux enregistrements δ18O, et des discordances d'âge entre les deux fractions, correspondant au modèle de Bard et al. (1987). Pour les calculs, T (épaisseur de la couche) est fixé à 0,1 cm et plusieurs valeurs de S (taux de sédimentation) sont testées. S est finalement fixé à 2,9 cm.kyr-1, correspondant au taux de sédimentation moyen des périodes MIS2 et Holocène. Différentes profondeurs de la couche mixte sont testées pour couvrir diverses situations de bioturbation.
3. Comparaison des Données et Résultats de la Modélisation
Une bonne concordance entre les données d'abondance et les enregistrements δ18O de la carotte MD03-2628 et les calculs de modélisation est obtenue pour une profondeur de la couche mixte de 8 cm. À 87,5 cm de profondeur, les âges calendaires obtenus sur la carotte MD03-2628 montrent une différence de 2,5 kyr entre G. ruber et la fraction fine, cohérente avec le décalage d'âge calculé lorsque H=8 cm. Cette valeur est en bon accord avec les profondeurs de bioturbation décrites dans des contextes similaires à celui de la carotte MD03-2628 (Henderson et al., 1999). La bioturbation et les variations des taux d'accumulation sont donc des causes probables des discordances observées pendant la dernière déglaciation (Bard et al., 1987; Wheatcroft, 1992). L'accord entre les données et le modèle suggère que la bioturbation et les variations des taux d'accumulation sont les principaux facteurs expliquant les différences observées entre les âges et les enregistrements isotopiques.