L'étude des inégalités dans la distribution des besoins de santé des ménages au Kerala (Inde)

Inégalités santé Kerala: Une étude

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Langue French
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Résumé

I.La Singularité du Kerala et le Gradient Socio économique de Santé

Cette étude examine la relation entre la pauvreté et les besoins de santé au Kerala, en Inde, un État connu pour son développement humain exceptionnel malgré des ressources limitées. Contrairement à la plupart des recherches qui se concentrent sur la santé individuelle, cette étude analyse les besoins de santé du ménage au Kerala. Malgré les progrès significatifs du Kerala en matière d'espérance de vie, d'alphabétisation (91%, notamment 87,9% chez les femmes, contre une moyenne indienne de 65,2%), et d'égalité des sexes, des questions persistent concernant les inégalités de santé persistantes. Le taux de morbidité est plus élevé au Kerala qu'ailleurs en Inde, ce qui soulève des questions sur la qualité de la perception de la santé et l'impact des déterminants sociaux.

1. Le paradoxe du Kerala développement humain et inégalités de santé

L'État du Kerala en Inde se distingue par des niveaux exceptionnels de développement humain malgré des ressources limitées. Il est reconnu pour son engagement historique dans les secteurs sociaux et sa lutte contre la pauvreté. Cependant, cette étude interroge la persistance d'un gradient socio-économique de santé dans cet État considéré comme égalitaire. L'étude privilégie l'analyse de la relation entre les besoins de santé du ménage et la pauvreté du ménage, plutôt qu'entre la santé individuelle et le revenu personnel. Cette approche est justifiée par le fait que dans les pays en développement, la gestion des ressources pour la santé se fait principalement au niveau du ménage. Le Kerala, malgré un produit national brut par habitant inférieur à la moyenne nationale indienne, affiche une espérance de vie comparable aux pays industrialisés, une alphabétisation quasi universelle et une place importante accordée aux femmes dans la société. Néanmoins, des recherches antérieures ont révélé une morbidité plus élevée au Kerala comparé au reste de l'Inde, ce qui souligne la complexité de la relation entre développement et santé.

2. Approche méthodologique Focus sur les besoins de santé du ménage

Les recherches sur le lien pauvreté-santé mettent généralement en relation la pauvreté (caractéristique familiale) et la santé individuelle. Or, dans les pays en développement, les ressources pour la santé sont gérées au niveau du ménage. L'alphabétisation des femmes, en particulier, est reconnue comme un déterminant majeur de la santé et de l'utilisation des services de santé. L'étude choisit donc d'analyser la relation entre les besoins de santé du ménage et la pauvreté du ménage, considérant le ménage comme l'unité d'analyse principale. Cette approche est originale car la plupart des études se concentrent sur la santé individuelle ou agrégent les données individuelles. L'étude souligne l'importance du contexte familial, notamment l'alphabétisation féminine, comme déterminant de la santé et de l'accès aux soins. Elle reconnaît également que la maladie d'un membre du ménage peut avoir des conséquences sur le reste du groupe, accentuées par la pauvreté.

3. Le modèle de développement du Kerala et ses implications sanitaires

Le Kerala s'est distingué par des politiques gouvernementales et des réformes populaires. Le premier gouvernement communiste de l'Inde au Kerala a influencé les politiques publiques, menant à un vaste programme d'interventions pour un accès universel à l'éducation, à la santé et à d'autres services de base. Ces efforts ont réduit les inégalités entre les sexes et les castes, améliorant les conditions sanitaires. Des politiques de redistribution des terres ont également contribué à une meilleure répartition de la propriété foncière. L'alphabétisation au Kerala (91%) est significativement supérieure à la moyenne nationale indienne (65,2%), avec un taux d'alphabétisation féminine particulièrement élevé (87,9% contre 54% au niveau national). Malgré ces avancées, la morbidité reste plus élevée qu'ailleurs en Inde, un paradoxe qui nécessite une investigation plus approfondie sur la perception des problèmes de santé et les facteurs sociaux influençant cette perception. L'étude met en avant le rôle de l'empowerment des femmes et de l'éducation dans l'amélioration de la santé.

4. Morbidité et perception de la santé au Kerala un paradoxe à explorer

Le Kerala présente des indicateurs de santé positifs : faible mortalité infantile et espérance de vie élevée. Cependant, la morbidité rapportée est paradoxalement supérieure à la moyenne indienne. Cette contradiction est analysée en lien avec la capacité des populations ayant accès à de meilleurs systèmes de santé à mieux percevoir et signaler leurs problèmes de santé. Des études comparatives entre les États-Unis, le Kerala, et d'autres régions de l'Inde montrent que la morbidité perçue peut varier considérablement selon le contexte socio-économique et l'accès aux soins. La différence de morbidité rapportée n’est donc pas forcement un reflet de la réalité mais aussi la consequence de l'accès aux soins et a une meilleure perception des maladies. Le texte suggère que les populations du Kerala, ayant bénéficié de meilleures conditions d'éducation et d'accès aux services de santé, pourraient être plus aptes à identifier et à signaler leurs problèmes de santé, expliquant ainsi des taux de morbidité plus élevés, sans que cela reflète forcément une réalité plus pathologique.

II.Mesure de la Pauvreté et des Besoins de Santé

L'étude définit la pauvreté à la fois comme une privation relative (manque d'accès aux biens et services communs) et absolue (manque de ressources pour satisfaire les besoins essentiels). Elle utilise une approche multidimensionnelle de la pauvreté, incluant des aspects économiques (revenu per capita) et sociaux (éducation, sexe du chef de ménage, appartenance à une caste). Les besoins de santé du ménage sont mesurés par un index composite basé sur des indicateurs directs (perception de la santé) et indirects (âge, problèmes de santé chroniques). L'étude précise que l'index est valide pour la population du Panchayat de Kottathara, dans le district de Wayanad, au nord du Kerala, à l’exception de la tribu des Paniyas. L'enquête a porté sur 3352 ménages (16 110 individus).

1. Définition et mesure de la pauvreté

L'étude utilise une approche multidimensionnelle de la pauvreté, combinant des aspects économiques et sociaux. La pauvreté est définie à la fois de manière relative (manque d'accès à des biens et services courants dans la société, selon la définition de Townsend) et absolue (privation des moyens de satisfaire les besoins essentiels, selon Sen). Cette approche multidimensionnelle est justifiée par le fait que la pauvreté englobe diverses formes de privation, à la fois physiologiques (déficit de ressources matérielles comme le revenu, la nourriture, le logement, l'accès aux services essentiels) et sociologiques (incapacité d'utiliser convenablement les ressources disponibles). L'étude reconnaît la difficulté de mesurer la pauvreté, les indicateurs de besoins étant plus complexes et coûteux à collecter que ceux de moyens. Elle mentionne l'utilisation fréquente d'indicateurs composites (quantitatifs et qualitatifs) pour une mesure plus pragmatique de la pauvreté, afin de combiner les forces des indicateurs de moyens et de besoins.

2. Mesure des besoins de santé du ménage un index composite

L'étude se distingue par sa focalisation sur les besoins de santé du ménage plutôt que sur la santé individuelle. Elle souligne le caractère peu exploré de cette approche. Un index composite est créé pour mesurer le besoin de santé global du ménage, incluant des indicateurs directs (mesures objectives et subjectives de la santé) et indirects (âge, problèmes de santé chroniques). L'étude justifie l'inclusion de la perception de la santé, en soulignant que cette perception conditionne la demande de soins. La transition démographique et épidémiologique du Kerala (vieillissement de la population et passage de maladies infectieuses à des maladies dégénératives) est également prise en compte dans la construction de l'index. La taille du ménage n'est pas incluse directement dans l'index pour éviter un biais dans l'estimation de la relation entre le besoin de santé et le revenu per capita, bien qu'elle soit prise en compte indirectement dans la procédure d'agrégation des données. L'étude mentionne aussi les limites de son index, notamment pour les Paniyas, un groupe tribal du Kerala.

3. Limitations méthodologiques et généralisabilité des résultats

L'étude mentionne l'utilisation de mesures directes (observations cliniques et perception de la santé) et indirectes (proxys de l'état de santé) pour mesurer les besoins de santé. Les mesures directes objectives sont fiables, mais difficiles à obtenir, tandis que les mesures subjectives sont plus faciles à collecter, mais sont sujettes à des biais. L'étude justifie l'exclusion des mesures d'utilisation des services de santé dans l'index, car cette utilisation est fortement corrélée au revenu et ne reflète pas directement le besoin de santé. Le choix des indicateurs intégrés dans l'index est justifié par la nécessité de couvrir les différentes facettes de la santé (maladies aigües, chroniques, perception de la santé). Des limitations méthodologiques sont également mentionnées, notamment le biais de mémoire lié à la période de référence (365 jours) pour certains éléments de consommation et l’exclusion des dépenses de santé du calcul du revenu. Enfin, l’étude souligne que l’index n’est pas valide pour la population Paniya, impactant la généralisabilité des résultats qui sont limités à la population du Panchayat de Kottathara (à l'exception des Paniyas) et généralisable à la population du Wayanad à l’exception des Paniyas. La proportion de ménages ST/SC dans l'échantillon après l'exclusion des Paniyas (22%) est comparée à la proportion qu'il aurait été (31%) si ces ménages avaient été inclus. Cela permet une meilleure comparaison avec la population rurale du Kerala et de l’Inde, aux caractéristiques sociosanitaires semblables.

III.Relation entre la Pauvreté et les Besoins de Santé au Kerala

L'analyse révèle une relation modeste entre le revenu per capita et les besoins de santé du ménage. Cependant, les facteurs sociaux jouent un rôle crucial. L'éducation du chef de ménage est un déterminant majeur des besoins de santé, expliquant 36% de la variance. Les inégalités sociales (caste, sexe, éducation) expliquent une part plus importante de la variation des besoins de santé que les inégalités économiques. Malgré les politiques sociales du Kerala, des disparités significatives persistent entre les différents groupes sociaux. L'étude souligne l'importance de la pauvreté sociale comme déterminant majeur des inégalités en matière de santé au Kerala, même dans un contexte de relatif progrès en matière de développement humain. Les inégalités horizontales (à l'intérieur de chaque strate sociale) augmentent avec le niveau d'éducation.

1. Relation modeste entre revenu et besoins de santé

L'analyse révèle une relation statistiquement significative, mais modeste, entre le revenu per capita des ménages et leurs besoins de santé. Le revenu explique seulement 1,6% de la variance du besoin de santé. Cette faiblesse de la relation est analysée : soit l'index des besoins de santé n'est pas une mesure adéquate (hypothèse infirmée par l'étude de la validité et de la fiabilité de l'index), soit la relation entre pauvreté économique et besoin de santé est intrinsèquement faible au Kerala. Cette observation soulève la question de l'adéquation de la mesure de la pauvreté utilisée et suggère que des facteurs autres que le revenu économique jouent un rôle prépondérant. L'étude souligne que la relation entre pauvreté économique et besoin de santé est plus complexe qu’une simple relation linéaire et qu’elle dépend de facteurs sociaux et contextuels.

2. L impact déterminant des facteurs sociaux

L'étude explore les facteurs modifiant la relation entre pauvreté économique et besoins de santé. Elle hypothésisait que la pauvreté sociale, en plus de la pauvreté économique, influence fortement les besoins de santé. Des analyses stratifiées montrent que, lorsque l'on inclut des variables de pauvreté sociale (éducation du chef de ménage, sexe du chef de ménage, appartenance à une caste, taille du ménage) dans les modèles de régression, l'effet du revenu devient non significatif. Le modèle final montre que l'éducation du chef de ménage explique à elle seule 36% de la variance des besoins de santé, soulignant l'importance des facteurs sociaux. L'étude observe une forte association entre les composantes de la pauvreté sociale et les besoins de santé des ménages, confirmant l'hypothèse que la pauvreté sociale est un déterminant majeur. Même dans un contexte comme le Kerala, connu pour ses efforts en matière d’égalité des chances, les inégalités sociales persistent et expliquent une part plus importante de la variance des besoins de santé que les inégalités économiques.

3. Inégalités verticales et horizontales un constat paradoxal

L'analyse explore les inégalités verticales (entre les strates sociales) et horizontales (à l'intérieur de chaque strate). Il est constaté que plus le chef de ménage est instruit, plus l'inégalité dans la distribution des besoins de santé est élevée. Ce constat apparemment paradoxal est interprété en considérant les différences d'éducation sanitaire et d'influence culturelle entre les groupes sociaux. Les groupes sociaux plus instruits seraient plus aptes à détecter et à signaler les problèmes de santé, même minimes, ce qui pourrait expliquer une plus grande variabilité des besoins de santé rapportés au sein de ces groupes. Cette observation souligne à nouveau l'importance de prendre en compte les facteurs sociaux dans l'analyse de la relation entre pauvreté et santé. Les inégalités sociales, ainsi que les inégalités dans l’éducation sanitaire, persistent malgré les efforts du Kerala pour améliorer l’égalité des chances.

4. Conclusion la prédominance de la pauvreté sociale

En conclusion, l’analyse multifactorielle confirme que les composantes de la pauvreté sociale sont fortement liées aux besoins de santé des ménages. La pauvreté sociale influence les décisions des ménages concernant les déterminants proximaux de la santé. Malgré les efforts du Kerala pour réduire les inégalités entre les castes et les sexes, les inégalités entre les strates sociales expliquent la majeure partie de l'inégalité en matière de besoins de santé. L’engagement historique du Kerala dans les secteurs sociaux a permis de réduire les inégalités, mais des disparités significatives persistent. L'étude suggère que les investissements dans le capital humain ont amorti les effets de l'inégalité socio-économique sur la santé, mais que la pauvreté sociale reste un déterminant majeur des inégalités de santé. Les inégalités sociales seraient plus importantes que les inégalités économiques. Le lien entre pauvreté économique et besoin de santé ne persiste que chez les ménages non pauvres socialement, soulignant l’importance d'interventions ciblées sur les groupes les plus vulnérables.

IV.Conclusion Inégalités Sociales et Besoins de Santé au Kerala

En conclusion, l'étude met en évidence le rôle prépondérant des inégalités sociales sur les besoins de santé des ménages au Kerala, même si ce dernier a fait des progrès importants en matière de développement humain. Les politiques sociales, bien qu'efficaces, n'ont pas totalement éliminé les disparités entre les groupes sociaux. La pauvreté sociale, plus que la pauvreté économique, semble être le principal facteur explicatif des inégalités de santé. Des interventions ciblées sur les groupes les plus vulnérables sont nécessaires pour réduire les disparités et améliorer l'équité en santé au Kerala.

1. L impact limité du revenu et la prédominance des facteurs sociaux

L'étude conclut que la relation entre la pauvreté économique (mesurée par le revenu per capita) et les besoins de santé des ménages au Kerala est faible, malgré sa significativité statistique. Le revenu explique une faible proportion de la variance des besoins de santé (1,6%). En revanche, l'analyse révèle l'importance des déterminants sociaux de la santé. L'inclusion de variables liées à la pauvreté sociale (niveau d'éducation du chef de ménage, sexe du chef de ménage, appartenance à une caste, taille du ménage) dans les modèles de régression rend l'effet du revenu non significatif. L'éducation du chef de ménage apparaît comme un facteur particulièrement déterminant, expliquant à elle seule 36% de la variance des besoins de santé. Cette constatation souligne l'influence majeure des inégalités sociales sur les disparités de santé, même dans un contexte d'investissement social important comme celui du Kerala.

2. Inégalités verticales et horizontales en matière de santé

L'étude met en lumière l'existence d'inégalités verticales (entre les différentes strates sociales) et horizontales (au sein de chaque strate) en matière de besoins de santé. Un constat paradoxal émerge : plus le niveau d'instruction du chef de ménage est élevé, plus l’inégalité de besoins de santé au sein de ce groupe est importante. Ceci suggère que des facteurs culturels et de perception de la santé pourraient expliquer cette variabilité. Les groupes plus instruits pourraient être plus enclins à identifier et à signaler des problèmes de santé plus subtils que des groupes moins instruits, générant une plus grande variabilité des besoins de santé rapportés. Cette constatation souligne une fois de plus l'influence des déterminants sociaux de la santé. L’étude suggère que des interventions ciblées sur la perception de la santé et l’éducation sanitaire, au sein des groupes sociaux plus vulnérables, sont nécessaires pour combler les inégalités. Cette conclusion réitère l’importance de considérer les facteurs sociaux dans l'étude de la relation entre la pauvreté et la santé.

3. L héritage des inégalités sociales et l impact des politiques sociales

Malgré les efforts historiques du Kerala pour réduire les inégalités de caste et de genre, les inégalités sociales persistent et constituent le principal facteur explicatif des disparités en matière de besoins de santé. Les inégalités sociales semblent plus prononcées que les inégalités économiques. Les investissements importants du Kerala dans le capital humain (éducation, santé) ont permis d'amortir partiellement l'impact de l'inégalité socio-économique sur la santé, mais n’ont pas éradiqué les inégalités sociales de santé. L’étude soutient la théorie du capital humain d’Amartya Sen, suggérant que les groupes sociaux défavorisés ont des besoins essentiels non satisfaits. Les conclusions suggèrent que le lien entre pauvreté économique et besoin de santé n'existe que chez les ménages qui ne sont pas pauvres socialement. L’étude recommande des stratégies ciblées de lutte contre la pauvreté pour les groupes sociaux les plus vulnérables afin de rétablir une véritable égalité des chances en santé.