
Thèse sur les infections à Pseudomonas en milieu de réanimation
Informations sur le document
Auteur | Mlle. Sana El Oua dnassi |
instructor/editor | Pr. S. Younous (Professeur agrégé d’Anesthésie Réanimation) |
École | Université Cadi Ayyad, Faculté de Médecine et de Pharmacie, Marrakech |
Spécialité | Médecine |
Lieu | Marrakech |
Type de document | thèse |
Langue | French |
Format | |
Taille | 2.75 MB |
- Infection nosocomiale
- Pseudomonas
- Réanimation
Résumé
I.Épidémiologie des Infections Nosocomiales à Pseudomonas aeruginosa en Réanimation
Cette étude, menée à l'hôpital militaire Avicenne de Marrakech entre le 1er janvier 2007 et le 30 juin 2008, a analysé 640 dossiers de patients en réanimation. Sur ces patients, 39 (6%) ont présenté au moins un épisode d’infection nosocomiale à Pseudomonas aeruginosa (P. aeruginosa), un pathogène hospitalier majeur connu pour sa résistance aux antibiotiques. Les infections pulmonaires (pneumonies associées à la ventilation ou PAVM) étaient les plus fréquentes (46,1%), suivies des bactériémies (28,2%). L'âge moyen des patients infectés était de 51,3 ans. L’étude souligne le caractère endémique élevé de P. aeruginosa dans les services de réanimation, mettant en évidence un risque important d’infections nosocomiales graves dans ce contexte.
1. Prévalence des Infections à P. aeruginosa en Réanimation
L'étude, réalisée au service de réanimation de l'hôpital militaire Avicenne de Marrakech entre le 1er janvier 2007 et le 30 juin 2008, a révélé une prévalence significative des infections nosocomiales à Pseudomonas aeruginosa. Sur un total de 640 patients hospitalisés en réanimation durant cette période, 39 patients (soit 6%) ont présenté au moins un épisode d'infection à P. aeruginosa. Ce taux souligne l'importance de cette bactérie comme pathogène nosocomial dans les unités de soins intensifs. La comparaison avec des données de la littérature indique un taux d’infections nosocomiales à P. aeruginosa nettement plus élevé en réanimation (environ 18%) qu'en médecine et chirurgie (4 à 6%). L'étude EPIC, portant sur 10038 patients dans 147 unités de soins intensifs de 17 pays européens, a montré que P. aeruginosa était impliqué dans 28,7% des infections nosocomiales, soulignant le caractère pan-européen du problème. D'autres études françaises confirment la prédominance de P. aeruginosa parmi les bacilles Gram négatifs isolés en réanimation (22,9%). Ces données convergent pour souligner l'importance de P. aeruginosa comme cause fréquente d'infections nosocomiales graves en milieu de réanimation.
2. Types d Infections et Localisations
L'analyse des infections à P. aeruginosa a mis en évidence une prédominance des infections pulmonaires (46,1%), notamment des pneumonies associées à la ventilation (PAVM), représentant ainsi la localisation la plus fréquente chez les patients de l'étude. Les pneumopathies à P. aeruginosa sont associées à une mortalité élevée, estimée entre 60 et 70% pour les PAVM, comparativement à 20 à 50% pour les pneumopathies dues à d'autres bactéries. La mortalité globale des infections à P. aeruginosa dans l'étude s'élève à 36%. Les bactériémies constituent une autre localisation importante (28,2%), reflétant le risque accru d'infections systémiques lié aux procédures invasives fréquentes en réanimation. La présence de P. aeruginosa dans les infections urinaires est également relevée dans la littérature. L'étude souligne le rôle majeur de P. aeruginosa dans les infections broncho-pulmonaires en réanimation, avec une mortalité significativement plus importante que celle observée avec d'autres bactéries. La gravité du pronostic est mise en relation avec la résistance aux antibiotiques de la bactérie.
3. Facteurs de Risque Associés aux Infections à P. aeruginosa
L’étude a identifié plusieurs facteurs de risque contribuant à la survenue d’infections à P. aeruginosa en réanimation. Les procédures invasives, telles que l'utilisation de cathéters intravasculaires (100% des patients avec bactériémie), de sondes urinaires (45,5%), et de sondes d'intubation (36,3%), jouent un rôle crucial en créant des voies d'accès pour la bactérie. L'immunodépression des patients en réanimation, souvent liée à des pathologies sous-jacentes ou à des traitements (chimiothérapie), augmente considérablement la vulnérabilité aux infections. Ainsi, 36,3% des patients avec bactériémie étaient neutropéniques. Une antibiothérapie antérieure, notamment avec des molécules comme l’amoxicilline-acide clavulanique, la ciprofloxacine ou des céphalosporines de troisième génération, représente un facteur de risque important. Des pathologies chroniques comme le diabète (45%), l'insuffisance rénale (18,1%), ou des cancers (18,1%) ont également été associées à un risque accru d'infection à P. aeruginosa. L'étude met en avant le rôle majeur des procédures invasives et de l’immunodépression dans le développement des infections à P. aeruginosa en milieu de réanimation.
4. Origine des Souches de P. aeruginosa
L’analyse de l'origine des souches de P. aeruginosa responsables des infections dans l’étude suggère une origine endogène. Chez tous les patients ayant développé une pneumonie associée à la ventilation (PAVM), les souches de P. aeruginosa étaient d'origine endogène et non environnementale. Une étude complémentaire (Cholley et al.) a suivi la colonisation/infection par P. aeruginosa et a analysé les prélèvements environnementaux (points d'eau) dans les chambres des patients. Malgré un taux de positivité élevé pour P. aeruginosa dans les prélèvements de siphons (86,2%) et de robinets (4,5%), un seul patient sur 14 présentait une colonisation/infection par un clone identique à celui présent dans son environnement hydrique avant son premier prélèvement positif. Ceci suggère une prédominance de la transmission endogène, ou auto-infection, dans le développement des pneumopathies associées à la ventilation à P. aeruginosa, plutôt qu'une contamination d'origine environnementale directe. Des études supplémentaires sont nécessaires pour déterminer plus précisément les voies de transmission de la bactérie.
II. aeruginosa
Les manifestations cliniques des infections nosocomiales à P. aeruginosa étaient dominées par les pneumopathies nosocomiales (principalement les PAVM), représentant un défi thérapeutique important en raison de la forte mortalité associée (environ 70%). Les bactériémies constituaient une autre localisation significative. Divers facteurs de risque ont été identifiés, notamment l'utilisation de procédures invasives (cathéters, sondes urinaires, intubation), des antécédents d'antibiothérapie, une immunodépression, et la présence de pathologies chroniques (diabète, insuffisance rénale).
1. Pneumopathies Nosocomiales à P. aeruginosa
Les pneumopathies nosocomiales, notamment les pneumonies associées à la ventilation (PAVM), représentent la principale manifestation clinique des infections à P. aeruginosa dans cette étude, avec un taux de 64,7% (46,9% infections pulmonaires et 17,8% infections bronchiques basses). P. aeruginosa est impliqué dans 16 à 34,6% des infections bronchopulmonaires, et est responsable d'environ 70% des décès liés à ces infections. La mortalité associée à une PAVM à P. aeruginosa est significativement plus élevée (60 à 70%) que celle liée à d'autres bactéries (20 à 50%). Des facteurs de risque spécifiques pour les pneumopathies à P. aeruginosa ont été identifiés, incluant la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), une durée de ventilation mécanique supérieure à 8 jours, une antibiothérapie à large spectre préalable et la présence d'une sinusite maxillaire. L'étude souligne également l'importance de la colonisation trachéobronchique à P. aeruginosa en réanimation. Une colonisation préalable peut persister longtemps et augmente le risque de développer une pneumopathie nosocomiale ultérieurement (16 à 38% des cas). Un antécédent d'hospitalisation en réanimation multiplie le risque de PAVM à P. aeruginosa. Des facteurs tels que la durée de ventilation, un SDRA, un syndrome de défaillance multiviscérale, une trachéotomie et la présence d'un cathéter central prolongée sont significativement associés à ce type d'infection.
2. Bactériémies à P. aeruginosa
Les bactériémies à P. aeruginosa constituent une autre manifestation clinique importante des infections dans cette étude, représentant 28,2% des cas. L’âge moyen des patients atteints de bactériémies était élevé (54 ans), l'âge étant un facteur de mauvais pronostic identifié dans d'autres études (âge > 60 ans ou > 40 ans). Plusieurs facteurs de risque ont été associés aux bactériémies à P. aeruginosa, notamment une antibiothérapie préalable (36,3%), une chimiothérapie (27,3%), une intervention chirurgicale récente (27,3%), et une neutropénie (36,3%). L'utilisation de procédures invasives, telles que des cathéters endovasculaires (100%), des sondes urinaires (45,5%) et une intubation (36,3%), joue un rôle majeur dans le développement des bactériémies. La mortalité des bactériémies à P. aeruginosa est élevée, variant selon les études et les populations de patients (20 à 38%). Une porte d'entrée pulmonaire est identifiée comme un facteur pronostique péjoratif. Des pathologies sous-jacentes comme des maladies biliaires, des cancers (notamment des hémopathies malignes, 16% vs 13% pour les cancers solides), sont également considérées comme des facteurs de risque. La neutropénie n'est pas toujours identifiée comme un facteur de risque indépendant.
3. Interactions entre P. aeruginosa et Candida albicans
L'étude a mis en évidence une interaction pathogénique possible entre P. aeruginosa et Candida albicans. La présence de Candida albicans a été observée dans les prélèvements respiratoires d'un patient. Une étude multicentrique a identifié la colonisation par Candida spp. comme facteur de risque de PAVM à P. aeruginosa. Des études ont montré que P. aeruginosa peut exploiter les formes filamenteuses de C. albicans comme source nutritionnelle, exerçant même un pouvoir fongicide. Une étude prospective multicentrique (Azoulay et al.) a confirmé une association significative entre la colonisation trachéobronchique à Candida spp. et la survenue de PAVM à P. aeruginosa. Cette association suggère une interaction pathogénique complexe entre ces deux micro-organismes, soulignant l'intérêt d'études expérimentales et cliniques plus approfondies pour mieux comprendre cette interaction et son implication dans le traitement des infections opportunistes en réanimation. Les implications médicales et économiques de ces interactions sont importantes, avec notamment un intérêt potentiel pour un traitement antifongique préventif.
III. aeruginosa
L'étude a évalué la sensibilité de P. aeruginosa à une gamme d'antibiotiques. Les taux de résistance variaient considérablement selon l'antibiotique. L’Imipénème présentait les taux de résistance les plus faibles (9,1% incluant résistance intermédiaire), tandis que la Ticarcilline affichait les taux les plus élevés (43,1%). Des différences de sensibilité ont également été observées en fonction des sérotypes bactériens; le sérotype O:12 étant particulièrement associé à une multirésistance. L'utilisation d'une bithérapie antibiotique, généralement associant une bêta-lactamine et un aminoside, était préconisée dans 49% des cas pour optimiser l'efficacité du traitement et prévenir l'émergence de résistances.
1. Sensibilité aux Bêta lactamines
L'étude a évalué la sensibilité de P. aeruginosa à diverses bêta-lactamines. Les taux de résistance les plus bas ont été observés pour l'Imipénème (6,8% de résistance totale, 9,5% incluant les résistances intermédiaires), la Ceftazidime (6,8% de résistance totale, 20,4% incluant les résistances intermédiaires), et la Cefsulodine (18,1% de résistance totale, 22,6% incluant les résistances intermédiaires). La résistance à la Ticarcilline (43,1%) était plus faible que celle rapportée dans une étude tunisienne (52%), mais supérieure à celle observée dans les unités de soins intensifs françaises (38%). Ces variations soulignent la variabilité géographique de la résistance aux antibiotiques. La comparaison des taux de résistance entre différents antibiotiques met en évidence des différences significatives de sensibilité selon la molécule utilisée. L'étude met l'accent sur l'importance d'identifier la sensibilité aux bêta-lactamines pour une prise en charge thérapeutique optimale des infections à P. aeruginosa, compte tenu des taux de résistance variables selon le contexte géographique et le type de bêta-lactamine utilisée.
2. Sensibilité aux Aminosides et Fluoroquinolones
Concernant les aminosides, l'étude a révélé des taux de résistance variables. La résistance à la Tobramycine était comprise entre 20 et 30%, tandis que l'Amikacine, considérée comme la molécule la plus active, présentait un taux de résistance de 10 à 30%. Ces variations de sensibilité mettent en évidence la nécessité d'effectuer un antibiogramme pour orienter le choix thérapeutique. Pour les fluoroquinolones, une différence importante a été observée entre la Ciprofloxacine et la Lévofloxacine, avec respectivement 13,6% et 45,4% de résistance. La résistance à la Ciprofloxacine, un antibiotique pouvant induire une résistance croisée aux bêta-lactamines, varie considérablement selon les pays (25% en France, 54,3 à 61% en Tunisie). L'analyse comparative souligne l'importance de prendre en compte la variabilité de la résistance aux fluoroquinolones selon le contexte géographique et le choix spécifique de l'antibiotique.
3. Facteurs Influençant la Résistance et Stratégies Thérapeutiques
L’étude a révélé que la résistance aux antibiotiques chez P. aeruginosa varie en fonction de plusieurs facteurs. La résistance est plus élevée dans les services de réanimation en raison de la forte concentration bactérienne et de la pression de sélection due à l'utilisation fréquente d'antibiotiques à large spectre. La résistance varie également selon le sérotype bactérien, les sérotypes O:12 et O:11 étant plus fréquemment associés à une multirésistance. L'antibiothérapie antérieure est un facteur de risque majeur d'émergence de résistance, avec une administration préalable de fluoroquinolones identifiée comme facteur de risque indépendant. Dans 66% des cas, une bithérapie (bêta-lactamine + aminoside) était utilisée dans le traitement définitif, bien que la supériorité de la bithérapie sur la monothérapie soit débattue dans la littérature. La bithérapie vise à augmenter la vitesse bactéricide, prévenir la sélection de mutants résistants et optimiser le traitement probabiliste initial, considérant que l’antibiothérapie empirique inadaptée est un facteur de mauvais pronostic. Malgré cela, la grande plasticité de P. aeruginosa et la multiplicité de ses facteurs de virulence restent un défi majeur pour la lutte contre les infections à cette bactérie.
IV. aeruginosa
La prévention des infections nosocomiales à P. aeruginosa nécessite une approche multidisciplinaire incluant des mesures d'hygiène strictes (lavage des mains, port de gants et de blouses, isolement des patients infectés), une utilisation raisonnée des antibiotiques pour limiter la sélection des souches résistantes, ainsi qu’une surveillance épidémiologique rigoureuse pour détecter et gérer rapidement les épidémies. L'utilisation excessive d'antibiotiques à large spectre, en particulier les fluoroquinolones, est identifiée comme un facteur majeur contribuant à l'augmentation de la résistance aux antibiotiques chez P. aeruginosa.
1. Rôle de l Antibiothérapie dans l Émergence de P. aeruginosa
La prescription d'antibiotiques est identifiée comme un facteur majeur dans l'émergence et la sélection de souches de P. aeruginosa résistantes. Une antibiothérapie, qu'elle soit probabiliste ou documentée, peut ne pas être active contre P. aeruginosa, contribuant ainsi à sa sélection en éliminant les bactéries sensibles. Même si l'antibiothérapie est théoriquement adaptée à des souches sensibles, les résistances acquises sont fréquentes chez cette espèce. L'étude souligne l'augmentation significative de la présence de P. aeruginosa dans les infections urinaires (de 5% à 13%) et les pneumopathies nosocomiales (de 4,9% à 40,3%) lorsqu'une antibiothérapie préalable est administrée. Il est donc crucial de justifier et de raisonner toute prescription antibiotique pour limiter ce risque d'émergence de résistance. Cependant, des impératifs cliniques, comme le choc septique, peuvent nécessiter une antibiothérapie à large spectre, même si son adaptation secondaire peut être difficile faute de documentation bactériologique complète. La prescription d'antibiotiques doit donc être optimisée pour éviter la sélection de P. aeruginosa résistant.
2. Mesures d Hygiène et d Isolement
La prévention des infections à P. aeruginosa repose sur des mesures d'hygiène rigoureuses. Il s'agit de limiter la contamination de l'environnement et du matériel, notamment par le manuportage. Chez les patients colonisés, il est nécessaire de limiter les phénomènes d'auto-infection lors des actes techniques et des soins. L'isolement en chambre individuelle avec portes fermées est recommandé. Des mesures d'isolement technique doivent être mises en place : lavage systématique des mains ou utilisation de solutions hydro-alcooliques, port de gants à usage unique, port de tabliers ou de surblouses à usage unique lors des soins, port de masque et de lunettes de protection lors de certains soins, utilisation de matériel individualisé pour chaque patient. L’éducation du personnel soignant en matière d'hygiène hospitalière est essentielle pour garantir l'efficacité de ces mesures. Ces mesures visent à créer une barrière physique à la contamination et à prévenir la transmission croisée de P. aeruginosa.
3. Investigation et Gestion des Épidémies
P. aeruginosa est fréquemment impliqué dans les épidémies d'infections nosocomiales. Il est donc crucial de mettre en place un système de surveillance efficace pour une détection précoce des épidémies. L'investigation d'une suspicion d'épidémie doit suivre plusieurs étapes : confirmation du caractère épidémique, enquêtes épidémiologique et microbiologique pour identifier la source, mise en place de mesures correctives, et évaluation de l'efficacité de ces mesures. Le Comité de Lutte contre les Infections Nosocomiales (CLIN) joue un rôle central dans la prise de décision. Une attention particulière doit être portée aux actes exploratoires ou invasifs, ainsi qu'aux sources de contamination liées à l'environnement humide (solutions aqueuses, matériel humide). La transmission croisée par le personnel soignant doit être envisagée. L'analyse des antibiotypes et des sérotypes, voire le génotypage, permet de confirmer les infections croisées et la diffusion clonale. Des mesures de prévention et de contrôle efficaces sont essentielles pour limiter l'émergence et la propagation de P. aeruginosa résistant.